Changer le Monde, mais comment ?

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Il est souvent question de changer les choses, car ces dernières, à l’évidence, ne vont pas bien du tout. Mais comment agir ? Par où et par quoi commencer ? Peut-on vraiment espérer changer les choses ? Est-il possible de faire progresser le Monde ? Réponse Oui et… Non ! Non, si votre but, perdu d’avance, est de  « faire bouger » les autres, de les pousser à se réformer et en un mot, à changer ce que vous considérez sans doute encore comme « le Monde extérieur et les autres. »

Si c’est là votre dessein, arrêtez tout de suite ! Vous ne pourrez, au mieux, que vous épuiser et vous attirer des ennuies de la part de ceux que vous allez forcément agacer par votre désir de transformer leur vie. Y compris, voire surtout, si comme la plupart, vous êtes persuadé que votre paix, votre liberté et votre bonheur, dépendent essentiellement de ces personnes !

 

Si vous souhaitez transformer les hommes politiques, arrêtez tout de suite ! Si vous voulez faire régner la justice dans votre pays, voire dans votre ville, arrêtez tout de suite ! Si vous voulez que la Paix règne dans le Monde, arrêtez tout de suite ! Si vous voulez améliorer les conditions de vie des gens dans le pays où vous vivez, arrêtez tout de suite ! De même si vous désirez que les gens cessent de manger de la viande, de torturer les animaux, d’adorer la compétition, d’exploiter leur prochain, j’en passe et des meilleures !

Pourquoi cela ? En quoi le fait de militer pour une cause juste est-il une mauvaise chose ?

Militer, c’est-à-dire partir de la prémisse que vous devez et donc pouvez changer l’état d’esprit des autres, n’est pas mal : c’est seulement inutile en plus d’être fort improbable. Inutile ? Oui, parfaitement : inutile, totalement inutile ! Il s’agit là d’une perte de temps et d’énergie extraordinaire et, en fait, tout sauf une marque d’intelligence ou « de spiritualité » ! Soyez un peu patients et vous comprendrez mieux plus loin. Si tant est que vous en ayez vraiment ENVIE, il va de soi !

 

Il y a de nombreuses années de cela, je discutais avec un homme simple mais intelligent, qui me contait une de ses aventures pittoresques dans le monde particulier des syndicats. Vous savez, ce sont ces groupes d’hommes et de femmes qui essayent de changer les choses, par exemple, d’améliorer les conditions de travail dans une entreprise, de faire augmenter le salaire des ouvriers, etc. C’était là du moins l’intention première des ces groupements visant au maintient des droits ouvriers, pour résumer. Il me racontait qu’à une époque, alors déjà marié et père de deux enfants, il avait décidé de rejoindre les rangs d’un de ces syndicats. Il l’avait fait simplement parce qu’il avait envie que les choses changent. Qu’elles changent pour lui, évidemment, puisque c’était lui qui ressentait, en lui, ce besoin ou ce désir.

On lui proposa donc de s’unir à d’autres, arguant du fait que le nombre fait loi ou, à tout le moins, qu’il permet en étant groupé, de forcer un peu la main de ceux qui détiennent le pouvoir sans aucune envie de le partager. Notre homme suivi donc des réunions, alla même coller des affiches dans les rues et essaya, lors de ses pauses, de gagner l’intérêt voire la confiance, de certains de ses collègues de travail.

 

Une semaine plus tard, le patron le fit appeler dans son bureau. La première question qu’il lui posa fut : « Il paraît que tu es allé grossir les rangs de ces autres feignants de service qui trouvent le temps de militer contre ceux qui les nourrissent alors que le boulot s’empile sur les docks ? Mais pourquoi as-tu fais ça, bon sang ? Je te connais, tu n’es pas homme à perdre ton temps en politique de bas étage ! » Et avant qu’il puisse répondre, son employeur lui posa cette question qui l’orienta vers une expérience psychologique qui le marqua le reste de sa vie : « Mais tu veux quoi, au fait ? Qu’aimerais-tu voir comme changement, comme amélioration et à quel niveau précis ? »

Il essaya bien de bredouiller un ou deux slogans appris par cœur depuis son entrée dans le syndicat mais le patron le coupa court : « S’il te plaît, André, fais-moi grâce de ces sornettes que scandent ceux qui son trop occupés à perturber les autres ouvriers pour continuer à être efficaces et donc à mériter leur salaire : dis-moi plutôt ce que toi tu attends de moi, ce que tu veux, car si tu as fait cette démarche de rejoindre cette troupe de bras cassés, c’est bien parce que tu avais des attentes, non ? Et tu es seul à être toi, que je sache ? Alors c’est à toi seul de me dire ce que tu désires, oublie un peu tes camarades de barricades, s’il te plaît et sois franc avec moi ! »

 

Alors le dénommé André réalisa qu’en effet, s’il avait rejoint le rang des militants, c’était parce que lui aussi avait des attentes, des attentes lui étant personnelles, voire uniques, qui sait ? Sans chercher à tergiverser, il expliqua que les horaires de travail l’empêchait d’aller chercher « sa petite dernière » à l’école, tous les soirs, que sa femme était malade et qu’il trouvait que son salaire était insuffisant, surtout avec ces nouveaux frais médicaux, sans compter qu’il n’avait plus été augmenté depuis trois ans à présent.

Son employeur eu l’air un peu étonné, fronça les sourcils, alla tirer un dossier d’un tiroir de son bureau puis revint s’assoir en face de lui. Il lui demanda de l’excuser deux minutes et se mit en devoir de parcourir un épais dossier dans lequel André cru reconnaître son nom de famille écrit à l’envers. Au bout de moins de deux minutes, son employeur redressa la tête et avec un sourire :
« Tu as parfaitement raison. Tu n’as plus été augmenté depuis trois ans, or, tu aurais du l’être depuis deux ans, quasiment. Je viens de voir également que moyennant un petit supplément, ta femme et tes gosses peuvent passer sur ta mutuelle d’entreprise et obtenir les mêmes droits que toi. Enfin, je constate que tu as toujours les mêmes horaires que depuis tes débuts, il y a dix ans de cela. Voici ce que je te propose : je vais t’augmenter de cinquante francs par mois, mais tu toucheras deux-cents francs par mois, le temps de rattraper et de compenser les deux années d’arriérés. Les frais supplémentaires concernant ta mutuelle qui couvrira désormais ta femme ainsi que tes deux enfants, seront prix en charge par l’entreprise durant la première année. Ensuite nous aviserons. Est-ce que cela répond en partie à tes attentes, André ? »

 

Le gars André était scotché et ne savait plus quoi dire. Comme faire la bise à son employeur n’était pas convenable, il se contenta de se lever et de lui serrer la main avec reconnaissance : « C’est bien plus que j’en attendais ! Merci, merci beaucoup.» Le patron pris un air narquois : « Je suppose que puisque tes attentes frustrées ont inspiré ton entrée dans le syndicat, à présent que ces mêmes attentes sont comblées, tu n’as plus aucune raison d’en faire partie ? »

Le chef d’entreprise esquissa un rapide sourire discret en voyant la mine déconfite de son employé :

– « Alors quoi ? Ta joie est de courte durée ! Quel est le problème insurmontable qui te tracasse, à présent ? »
– Ben… Vous savez… les autres, là…
– Oui, eh bien quoi, les autres, André ?
– Mais ils vont penser que je les ai trahis et que…
– Et que j’ai réussi à t’acheter, c’est bien cela ?
– Ma foi… Puisque c’est vous qui le dites… »

Le patron d’André poussa un petit soupir, se donna le temps d’allumer une cigarette, en proposa une à André qui la refusa, puis après avoir réfléchi à la manière de formuler ses propos, il dit :

« Tu sais, André, les hommes pensent qu’ils sont faibles et c’est la raison pour laquelle ils s’unissent, dans l’espoir de se sentir plus forts. Hélas, comme seuls les faibles ont besoin de s’unir, ce qu’ils unissent en fait, c’est leur faiblesse seulement. Dès lors, ils sont plusieurs à être faibles mais jamais ils ne seront forts s’il ne cessent pas d’entretenir la peur qui affaiblit leur cœur. La véritable force ne vient jamais du nombre; elle provient de cette capacité intérieure de répondre soi-même et pour soi-même à ses propres besoins. Au départ, tu avais des désirs et tu as cru bon de te lier à d’autres dans l’espoir de pouvoir les exhausser. Mais en te liant à d’autres, tu as juste augmenté la force de ces désirs, tu as aidé à leur multiplication, mais tu as surtout ajouté ta propre faiblesse à la leur. On ne change pas le monde en agissant à l’extérieur : on fait en sorte de satisfaire nos moindres attentes, et cela, depuis notre intérieur. Vois comme sont les choses, finalement : j’ignorais tout de tes attentes, mêmes si par ailleurs, elles étaient parfaitement légitimes. Tu n’as eu qu’à me les expliquer, et voilà tes attentes comblées ! J’espère que tu apprendras vraiment à changer le Monde, mais j’espère que, désormais, tu ne te tromperas plus de Monde ! »

 

Voilà l’histoire d’André. A présent, reposons la question : « Changer le Monde, OK, mais comment ? »
En ne se trompant plus de sens, d’adresse et en fait, de Monde !
Qui ressent ce besoin impérieux de changement, d’amélioration ? Celui qui ressent cela doit être également celui qui en vit le dénouement. La preuve : ceux qui ne ressentent pas ce même besoin de changement, d’amélioration et qui, accessoirement, se conduisent comme de véritables animaux, ne le vivrons pas. Il n’en ont pas l’envie, car n’ont rien à changer en eux qui ne soit pas toujours identifié à eux.

Ils pensent être « dans le vrai » et ils vivent, selon la Loi, le contenu de leurs pensées. Pour eux, c’est vous qui êtes un malade. Et un inquisiteur, qui plus est ! Aimeriez-vous que l’on vous change de force ? Qu’on vous impose de changer, que l’on vous menace au cas que vous refuseriez ? Où est la véritable justice, la véritable liberté, d’un Monde où l’amélioration prend des allures de tyrannie ? Vous voulez changer le Monde ? Cool ! Alors changez donc le vôtre et laissez aux autres le soin d’en faire autant s’ils en sont capables et quant ils y seront correctement préparés, à savoir grâce à un vécu produisant une prise de conscience salutaire.

Vous n’avez rien à changer « au-dehors et chez les autres », car c’est en vous et chez vous que se produit cet élan impérieux, ce besoin de changement, d’évolution ou d’amélioration. Êtes-vous si faible qu’il vous faille vous lier, vous liguer avec d’autres et… Contre d’autres, finalement ? Où est l’évolution dans cette envie de forcer les autres à adopter votre point de vue ? Cet état d’esprit tyrannique n’est-il pas déjà « en service » et ce, depuis bien trop longtemps ? Allez-vous ajouter votre guerre personnelle en vue d’instaurer une paix fratricide ? Voulez-vous ressembler à ces imbéciles heureux qui, à la moindre occasion, reprennent vertement les autres à propos de leurs paroles, de leurs écrits ou de leur comportement, sous prétexte que ces choses ne correspondent pas à leurs attentes frustrées ?

 

Au lieu de parler d’amour, de respect, de compassion et d’humilité, si vous commenciez par mettre ces belles choses en pratique, vous et le premier ? Le premier et… Le seul ! Vous seuls devez vivre en concordance avec vos croyances, opinions et désirs, pas ceux qui ont le droit à avoir aussi les leurs.
Les autres ne vous doivent rien, ne peuvent pas vous décevoir si vous n’avez pas le culot d’attendre quelque chose d’eux. Quelque chose que, selon toutes apparences, vous refusez de vous offrir à vous-mêmes ou… Êtes incapables de vous offrir ? Alors vous comptez sur les autres pour compenser vos manquements et vos faiblesses ? Est-ce cela votre Monde parfait ? Si oui, puissiez-vous être le seul à y vivre jamais !

Le Monde est en vous; pour le changer, changez-vous et il le sera aussi. Du moins, vous ne serez plus en demande et donc, en attente de ce que vous espérez encore voir instauré en vous et pour vous, mais depuis l’extérieur et par les autres. S’il vous plaît, vous qui prétendez à la spiritualité, Réveillez-vous !

Réveillez-vous vraiment !

 

Serge Baccino