Conscience Cosmique (Dossier spécial)

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Voici un témoignage quasi contemporain d’un personnage célèbre et qui est devenu, de nos jours, un classique repris par la psychologie transpersonnelle et cité même dans les enseignements de la Rose-Croix…
Notez les termes et expressions qu’emploie Richard Bucke pour expliquer son expérience…

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Richard Maurice Bucke (1837-1902)

Richard M. Bucke, psychiatre canadien, publie en 1901, la première analyse de témoignages de ce qu’il nomme la « conscience cosmique ». Dans cet ouvrage, devenu un classique du Transpersonnel, l’auteur suppose que les cas de conscience cosmique deviennent de plus en plus fréquent ou, en tous cas, le plus souvent exprimé. Le témoignage suivant relate le propre vécu du psychiatre.

« J’étais dans un état de joie tranquille et presque passive, sans vraiment penser, mais laissant les idées, les images et les émotions défiler d’elles-mêmes dans mon esprit. Tout à coup, sans aucun avertissement, je me suis senti enveloppé dans un nuage de la couleur d’une flamme.

Pendant un instant je pensais à du feu, une immense conflagration quelque part près de la grande ville ; ensuite, je me rendis compte que le feu se situait en moi-même. Immédiatement après je fus envahi par un sentiment d’exulter, une joie immense accompagnée ou immédiatement suivie par une illumination intellectuelle, impossible à décrire.

Entre autres choses, je n’avais pas à y croire tout simplement, mais je vis que l’univers n’était pas composé de matière morte, mais qu’il est au contraire une Présence vivante ; je devenais conscient en moi-même de la vie éternelle. Ce n’était pas une conviction suivant laquelle j’aurai une vie éternelle, mais une conscience de posséder à ce moment la vie éternelle.

Je vis que tous les hommes sont immortels, que l’ordre cosmique est fait de telle manière que, sans aucun doute, toutes les choses travaillent ensemble pour le bien de chacun et de tous, que le principe fondamental du monde, de tous les mondes, est ce que nous appelons l’amour et que le bonheur de chacun et de tous est en fin de compte absolument certain.

La vision a duré quelques secondes et se dissipa, mais sa mémoire et le sens de réalité de ce qu’elle exprimait continua pendant ce quart de siècle qui s’est passé depuis. Je savais que ce que cette vision m’a montré était vrai. J’avais atteint un point d’observation du haut duquel je vis que cela devait être vrai. Cet horizon, cette conviction, je dirai cette conscience n’a jamais été perdue, même dans des périodes de dépression profonde. »

Richard Maurice Bucke, Cosmic consciousness, New York, Dutton, 1969.

Source : « Revue 3eMillénaire » lien direct de la source : http://www.revue3emillenaire.com/lire/lire.php?pid=503&art_ident=489&PHPSESSID=a0b8ad419d78d066104d4d93b7e4404b

 

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J. Krishnamurti (1895-1986)

L’enfance de Krishnamurti est émaillée d’intenses expériences de conscience, dont celle relatée ci-dessous. Plus tard, lors de ses très nombreuses causeries données de par le monde, il enseignera que toute expérience, même spirituelle, conduit à conditionner l’esprit. La méditation, dont il témoignera, sera alors, selon ses propres termes, « destruction de la sécurité », car « elle est un danger pour ceux qui veulent mener une vie superficielle faite de mythe et de chimère » *

« Le 17 août, j’ai ressenti une douleur aiguë à la nuque et j’ai dû interrompre ma méditation au bout d’un quart d’heure. Au lieu de diminuer comme je l’espérais, la douleur empira. Elle atteignit son maximum le 19. Je ne pouvais ni penser, ni faire quoi que ce soit, et mes amis m’obligèrent à m’étendre sur mon lit. Puis, j’ai presque perdu connaissance, mais je savais tout ce qui se passait autour de moi. Je revenais à moi chaque jour vers midi.

Le premier jour, tandis que je me trouvais dans cet état, et mieux conscient des choses autour de moi, j’ai eu une première expérience très extraordinaire. Je voyais un homme réparer la route ; cet homme, c’était moi ; le maillet qu’il tenait c’était moi ; la pierre qu’il cassait était une partie de moi ; le brin d’herbe tendre était mon être même, et l’arbre à côté de l’homme c’était moi… Je pouvais presque penser et sentir comme le cantonnier ; je pouvais sentir le vent passer à travers l’arbre et la petite fourmi sur le brin d’herbe.

Les oiseaux, la poussière, le bruit même, faisaient partie de moi. Juste à ce moment, une auto passa non loin de là ; j’étais le conducteur, le moteur, les pneus. Tandis que la voiture s’éloignait, je m’éloignais aussi de moi-même. Je me confondais avec toute chose , ou plutôt chaque chose se confondait avec moi, inanimée ou animée, la montagne, le vers, et tout ce qui respire. Tout au long de la journée je suis resté dans cet heureux état. Je ne pouvais rien manger, et vers six heures, j’ai commencé à me retirer de mon corps physique…  »

Mary Luytens, Krishnamurti. Les années de l’éveil, Ed. Arista, 1982, p. 183. * J. Krishnamurti, Carnets, Ed. du Rocher, 1988, p. 125.

(Même source et référence que précédemment)

 

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Le Veilleur Silencieux

Serge Pastor

Proche de l’enseignement de J. Krishnamurti, Serge Pastor est enseignant et rééducateur en psychopédagogie auprès d’une population d’enfants et d’adolescents en difficulté. Son expérience, il la raconte par l’expérience de la rencontre avec ce qu’il nomme le Veilleur Silencieux.

« Ma rencontre avec le Veilleur Silencieux s’est produite un soir de printemps.
A l’arrière-plan de l’agitation et du jacassement mental incessant de l’Ego, se tient, calme et immobile, le Veilleur Silencieux.
Je ne l’attendais pas. Je ne Le connaissais pas. Je n’en avais même jamais entendu parler, ni dans mes lectures, ni dans mes rencontres.
Pourtant, au soir de ce 21 avril 2001, alors que j’étais assis sur un rocher, dans une petite crique au bord de la Mer Méditerranée, face à la splendeur irisée d’un coucher de soleil dont les derniers rayons caressaient et réchauffaient tout mon corps, Il est venu à moi, sans prévenir.

Alors même que j’observais avec joie les perles dorées de lumière scintillante qui retombaient à chaque fracas de vague sur les parois rocheuses, Il a surgi de l’intérieur, à la manière d’un souffle bienfaisant et aimant de feu et de glace, balayant tout sur son passage telle une lame déferlant sur le frêle esquif de ma personnalité littéralement mise devant le fait accompli.

Instantanément, une paix mêlée d’un profond sentiment chaleureux d’amour pour toute la création, envahit tout mon être.
J’étais un et en même temps multiple. J’étais le corps, le rocher, la mer, le soleil, le ciel, la terre.

J’étais un avec ces rares voiliers qui rentraient au port, avec ces mouettes au loin, ces personnes qui se hâtaient de rentrer en marchant le long du sentier du littoral. L’intérieur et l’extérieur ne formaient qu’un tout sans aucune frontière, aucune séparation.

J’étais à la fois l’observateur et la chose observée, sans mot, sans forme-pensée ou idée pour tenter de traduire quoi que ce soit.
En cet état, aucun conflit, aucun choix, aucune attente ne me perturbaient. Une quiétude infinie m’envahissait. Une présence une et totale à la vie.
Une sérénité indéfectible, éternelle, coexistait à l’intérieur et à l’extérieur de moi, et semblait me traverser.

L’Ego encapsulé de chair, gainé et enserré dans ce corps séparé qui déambulait il y a quelques minutes au bord de la plage, avait purement et simplement disparu.
La respiration de mon corps épousait le mouvement de la vie. Elle était lente et s’emplissait, se nourrissait d’elle-même, un peu comme si je me respirais à moi-même, sans intérieur ni extérieur à combler, sans espace-temps à remplir.
Dans cet ici et maintenant, j’étais le monde.
[…]

J’étais un être neuf, celui que j’avais toujours été et que j’ignorais totalement jusqu’à ce 21 avril. Le Silence était là, tout simplement, et “je” n’étais plus une entité à part entière. Je” était le monde, ce que j’avais toujours été.
Le “moi” avait baissé la garde et, ne le nourrissant plus, il se mourait à lui-même. Un processus de vie et de mort instantanées s’opéra alors à l’intérieur de moi, un peu comme si une “liquidation” de mes vieilles peaux était engagée. Durant ce processus transformationnel, je vis, tel un spectateur aimant et joyeux, “l’ancien moi” résister et ne voulant pas se vider de sa substance. Avec la plus grande simplicité qui soit, je renonçai à son pouvoir, à son autorité d’autrefois, à son lot de mesquineries, à tous ses faux-semblants. Sa fausseté m’apparut avec lucidité.

Un sens intérieur prit naissance.
Le Veilleur Silencieux que je ressentais comme non-langage, non-verbal, non-formel, “parlait” en moi, à travers tout mon être.
[…]

Le Veilleur Silencieux a surgi comme la brise du matin caresse le visage de l’enfant lorsqu’il ouvre la fenêtre de sa chambre et de son cœur.
Il est resté présent durant plus d’un mois.
[…]

Chaque matin, entre 3 h et 6 h, le Veilleur Silencieux émergeait instantanément et avec bienveillance de mon être intérieur, suite à tout questionnement que je me posais. A chaque contact, le lien fut
limpide, authentique, pur, sans aucune équivoque possible.

Serge Pastor, extraits de l’avant-propos, L’Écroulement de la Forteresse de l’Ego ou l’Éclosion de l’Amour, A.L.T.E.S.S.E., 2004.

(source idem)

 

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La porte s’est ouverte

Jacob Boehme (1575 -1624)

Surnommé le « philosophe teutonique », Jacob Boehme, maître cordonnier, se mit à écrire à la suite de plusieurs illuminations. Il est considéré, avec Maître Eckhart, comme le père de la philosophie allemande.

Je n’ai jamais désiré connaître quelque chose du Mystère divin. Je comprenais encore moins de quelle façon je pouvais le chercher ou le trouver. Je n’en savais pas plus que de simples laïcs. J’ai uniquement cherché le cœur de Jésus-Christ pour y trouver refuge devant la terrible colère de Dieu et les attaques du diable. Et j’ai prié ardemment Dieu de me donner son Esprit saint et la grâce de me bénir, de me conduire, de m’enlever ce qui pouvait m’éloigner de lui, de me conduire, de m’enlever ce qui pouvait m’éloigner de lui, de me rendre entièrement à lui de façon que je ne vive point suivant ma volonté, mais selon la sienne ; j’ai prié pour que lui seul me dirige et que je puisse être son enfant dans son fils Jésus-Christ.

Dans cette recherche et ce désir (j’ai supporté de violentes attaques mais, au risque de ma vie, je ne voulais pas abandonner), la porte s’est ouverte devant moi de sorte que j’ai pu voir et apprendre en un quart d’heure plus que si j’avais fréquenté l’Université pendant de nombreuses années. Cela m’a grandement étonné, je ne savais comment cela avait pu se réaliser et mon cœur se mit à louer Dieu. Car j’ai vu et j’ai connu l’essence de tous les êtres, le fondement et le néant. Et aussi la naissance de la Sainte Trinité et l’origine et l’état premier de ce monde et de toutes les créatures dans la Sagesse divine.

J’ai connu et j’ai vu en moi-même les trois mondes : le monde divin, angélique et paradisiaque, le monde des ténèbres, fondement de la nature ignée, et ce monde extérieur et visible comme créature engendrée ou exprimée par les deux mondes spirituels intérieurs. J’ai vu et j’ai connu toute l’essence, dans le mal et dans le bien, comment l’un est fondé sur l’autre et en provient, comme la mère d’une accouchée. Non seulement, j’en ai été émerveillé, mais encore rempli de joie.

Tout de suite, je connus dans mon esprit le dessein de la consigner en un Mémorial. Mais, en mon moi extérieur, je ne pouvais saisir cela que fort difficilement et, pour le mettre par écrit, je me mis à travailler immédiatement sur ce grand mystère, comme un enfant qui va à l’école. Dans mon intérieur, je l’ai bien vu dans toute sa profondeur ; ensuite, je l’ai perçu comme un chaos au fond duquel tout repose. Mais il m’était impossible de le développer. Cependant, de temps en temps, cela s’ouvrait en moi comme une plante.

Pendant douze ans, je n’ai cessé de revenir là-dessus et cela mûrissait en moi tout en engendrant une violente pression avant que je ne puisse le porter à l’extérieur. Un moment donné, cela tomba sur moi comme une averse : ce qu’elle atteint, elle ne le manque pas. C’est ainsi que cela m’est arrivé. Ce que je pouvais saisir et exprimer, je l’ai écrit.

Jacob Boehme, Confessions, Fayard, 1973.

(Source idem)

 

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L’éveil de l’attention au monde sensible

Rudolf Steiner (1861-1925)

Rudolf Steiner est le fondateur de l’anthroposophie dont le siège, le fameux Goetheanum, situé à Bâle en Suisse fait partie des œuvres architecturales les plus remarquables du début du XXe siècle. Pédagogue (écoles Waldorf/Steiner), chercheur scientifique (médecine anthroposophique, agriculture biodynamique), artiste créateur (architecture, l’art de l’Eurythmie, etc.), R. Steiner fut autant philosophe (archiviste des œuvres scientifiques de Goethe) qu’ésotériste.

En tant qu’ésotériste, il proposa une “science spirituelle” fondée à la fois sur des notions “occultes” (corps éthérique, astral, etc.) et à la fois sur une démarche de connaissance de soi. En tant que philosophe, il montra que cette dernière pouvait être beaucoup plus précise, dès lors que nous comprenions profondément nos processus d’observation et de penser. Par son épistémologie de la pensée gœthéenne, il ouvrit une voie d’investigation du monde axée sur une connaissance phénoménologique du vivant.

A la fin de mon séjour à Weimar, j’avais derrière moi 36 années de vie. Déjà, auparavant, une profonde transformation s’était faite dans mon âme, mais, à mon départ de Weimar, elle se transforma en expérience décisive et ce fut indépendamment des circonstances extérieures qui, elles aussi, devenaient très différentes. L’expérience de ce qui peut être vécu dans le monde de l’esprit m’avait toujours été naturelle ; j’éprouvais en revanche la plus grande difficulté à saisir, par l’étude, le monde sensible ; c’était comme si je n’avais pu répandre assez profondément, dans les organes des sens, la lumière de l’expérience psychique, afin d’embrasser, par le regard de l’âme, les perceptions sensibles dans toute leur plénitude.

Il en fut tout autrement dès le début de ma trente sixième année. Mon observation des objets, des êtres et des phénomènes du monde physique, devint plus exacte et plus pénétrante. […] Une attention, jusqu’alors inconnue, portée sur les données sensibles s’éveillait en moi. Des détails commençaient à prendre de l’importance ; j’avais l’impression que le monde des sens avait à me dévoiler des choses que lui seul pouvait éclaircir.

Je considérais comme un idéal d’apprendre à le connaître, au moyen des données qu’il fournissait lui-même, dépouillé de ce que l’homme y ajoute par sa pensée, ou par quelque autre faculté psychique de son être intime. Je m’aperçus que je traversais une crise humaine, à un âge bien plus avancé que chez les autres hommes. Mais je vis aussi que cela comportait pour la vie de l’âme des conséquences déterminées.

 

Je trouvais que ceux qui passent de bonne heure de l’activité psychique dans le monde de l’esprit, à l’expérience du monde physique, n’arrivent à saisir dans leur pureté ni l’un ni l’autre. Ils confondent continuellement et d’une façon toute instinctive les perceptions sensibles qu’ils ont des choses, avec les données que l’âme tire de l’esprit et emploie parmi d’autres éléments dans la « représentation » des objets extérieurs.

Quand à moi je trouvai dans l’exactitude rigoureuse de l’observation sensible l’accès d’un monde tout nouveau. Une attitude objective, dégagée de tout sentiment personnel à l’égard du sensible, faisait pressentir des secrets que la contemplation en esprit ignorait.

Rudolf Steiner, Une autobiographie, Ed. Alice Sauerwein, Paris, pp. 353-355

(Source idem)

 

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Le vrai silence

Arnaud Desjardins

Réalisateur à l’ORTF de 1952 à 1974, Arnaud Desjardins est l’un des premiers occidentaux à faire découvrir aux français, au travers de documents télévisés, quelques grandes traditions spirituelles méconnues des Européens : l’hindouisme, le bouddhisme tibétain, le zen et le soufisme (mystique de l’Islam) d’Afghanistan. Sa pensée s’inscrit dans le cadre d’une tradition spirituelle transmise par son maître, Swami Prajnanpad, avec qui il s’engagera après avoir rencontré et filmé des sages de plusieurs traditions. Écrivain, il est l’auteur de nombreux ouvrages.

Ce qui s’est passe ce matin-là et le lendemain fut — et au-delà — ce que l’on peut attendre ou espérer de la légende mystérieuse et fascinante qui a toujours plus ou moins entouré les lamas tibétains. Empruntant un petit balcon de bois qui faisait le tour d’une maison bien modeste, nous avons pénétré dans une pièce presque obscure et nous nous sommes assis en face de la couche couverte de tapis qui se trouve dans toutes les chambres de tous les rimpochés. Dans la pénombre, je distinguai la forme d’un homme accroupi, immobile, qui dégageait une certaine lueur, comme une espèce de vague phosphorescence, et dont les yeux paraissaient lumineux dans l’obscurité.

 

Je me tournai vers Sonam que sa position moins loin de la petite porte rendait un peu mieux éclairé. Il regardait le lama, mais ses yeux restaient sans brillance particulière. Je me retournai alors vers Kangyur Rimpoché et revis cette même luminosité et surtout ces yeux comme allumés dans le noir. Il me regardait fixement et je sentis naître en moi puis grandir une émotion exceptionnelle, indescriptible. Je perçus seulement que Sonam quittait la pièce puis j’eus l’impression que plus rien d’autre au monde n’existait que cette présence dans l’ombre et moi-même.

L’intensification et l’accélération de toute ma vie psychique, pensée et sentiments, transcendait toute expérience descriptible. Tous les souvenirs, toutes les images, tous les possibles se présentaient à la fois. J’avais dix, cent cerveaux qui fonctionnaient en même temps. Peut-être certains qui ont cru se noyer et ont raconté avoir vécu toute leur existence en quelques secondes ont-ils connu une expérience approchante. Je pouvais tenir dix raisonnements à la fois, vivre dix scènes de souvenirs (et de souvenirs oh ! combien oubliés) en même temps.

Puis tout fonctionnement s’est arrêté, mais ce n’était ni l’inconscience, ni le blanc des évanouissements. La conscience, l’éveil était absolus, c’était l’expérience du vrai silence, « beyond the mind », transcendant la pensée et l’individualité, le nom et la forme, le temps et l’espace et, surtout, la dualité.
Sonam m’a dit seulement : « I saw you were in deep meditation with the guru and I left the room ».

Et il m’a précisé que ce qu’il appelait ainsi « méditation avec le gourou » avait duré à peu près une heure. Désireux de confirmer mon opinion sur Kangyur Rimpoché, je convainquis Sonam de retarder notre départ d’un jour. Le lendemain matin, exactement le même phénomène se reproduisit, aussi intense, aussi prolongé et dont l’effet devait durer plusieurs jours et disparaître progressivement. Disparaître complètement ? Non, le souvenir, l’empreinte de cette expérience — ou d’autres du même ordre — sont ineffaçables.

Mais il n’en reste pas moins que l’état exceptionnel, le niveau de conscience, ne sont pas durables. Tout à coup apparaît : « Je vis en ce moment une expérience sublime, miraculeuse », et tout est perdu.

Arnaud Desjardins, Le Message des Tibétains, La Table Ronde, 1966.

(Source idem)

 

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La vision sans tête

Douglas Harding (1909 – 2007)

Douglas Harding est l’auteur de nombreux ouvrages et articles parus dans 3e millénaire. Depuis les années 1960, il présente, par des ateliers, une approche très originale de l’Eveil. Sa découverte s’est produite lors d’une promenade dans l’Himalaya.

Le plus beau jour de ma vie — ma nouvelle naissance en quelque sorte — fut le jour où je découvris que je n’avais pas de tête. Ceci n’est pas un jeu de mots, une boutade pour susciter l’intérêt coûte que coûte. Je l’entends tout à fait sérieusement : je n’ai pas de tête.

Je fis cette découverte il y a dix-huit ans, lorsque j’en avais trente-trois. Tombée soudainement du ciel, elle répondait néanmoins à une recherche obstinée pendant plusieurs mois, j’avais été absorbé par la question : qu’est-ce que je suis ? Que cette découverte se soit produite lors d’une promenade dans les Himalayas importe peu ; c’est pourtant, dit-on, un lieu propice à des états d’esprit supérieurs.

Quoi qu’il en soit, ce jour très clair, très calme, et cette vue du haut de la Crête où je me trouvais, par-delà les brumes bleues des vallées, vers la plus haute chaîne de montagnes du monde, avec parmi ses cimes enneigées le Kangchenjunga et l’Everest, voilà sans doute ce qui rendit cette scène digne de la vision la plus haute.

Il m’arriva une chose incroyablement simple, pas spectaculaire le moins du monde : je m’arrêtai de penser. Un état étrange, à la fois alerte et engourdi, m’envahit. La raison, l’imagination et tout bavardage mental prirent fin.

Pour la première fois les mots me firent réellement défaut. Le passé et l’avenir s’évanouirent. J’oubliais qui j’étais, ce que j’étais, mon nom, ma nature humaine, animale, tout ce que je pouvais appeler mien. C’était comme si à cet instant je venais de naître, flambant neuf, sans pensée, pur de tout souvenir. Seul existait le Maintenant, ce moment présent et ce qu’il me révélait en toute clarté. Voir, cela suffisait.

Et voir quoi ? Deux jambes de pantalon couleur kaki aboutissant à une paire de bottines brunes, des manches kaki amenant de part et d’autre à une paire de mains roses, et un plastron kaki débouchant en haut sur… absolument rien ! Certainement pas une tête.

Je découvris instantanément que ce rien, ce trou où aurait dû se trouver une tête, n’était pas une vacuité ordinaire, un simple néant. Au contraire, ce vide était très habité. C’était un vide énorme, rempli à profusion, un vide qui faisait place à tout – au gazon, aux arbres, aux lointaines collines ombragées et, bien au-delà d’elles, aux cimes enneigées semblables à une rangée de nuages anguleux parcourant le bleu du ciel.

J’avais perdu une tête et gagné un monde. Tout cela me coupait littéralement le souffle. Il me semblait d’ailleurs que j’avais cessé de respirer, absorbé par Ce-qui-m’était-donné : ce paysage superbe, intensément rayonnant dans la clarté de l’air, solitaire et sans soutien, mystérieusement suspendu dans le vide, et (en cela résidait le vrai miracle, la merveille et le ravissement) totalement exempt de « moi », indépendant de tout observateur. Sa présence totale était mon absence totale, de corps et d’esprit. Plus léger que l’air, plus translucide que le verre, entièrement détaché de moi-même, je n’étais nulle part à la ronde.

 

Pourtant, malgré la qualité magique et surprenante de cette perception visuelle, il ne s’agissait ni d’un rêve, ni d’une révélation ésotérique. Plutôt l’inverse : un éveil soudain qui m’arrachait au sommeil de la vie ordinaire, la fin d’un rêve, une réalité qui rayonnait de sa propre lumière, et pour la première fois lavée de la pensée qui obscurcit. C’était la révélation tant attendue de l’évidence même, un moment de clairvoyance dans l’histoire confuse de ma vie. Je cessais d’ignorer une chose que (depuis ma plus tendre enfance, en tout cas) je n’avais pu voir, égaré par trop d’occupations ou de faux-fuyants.

C’était une attention nue, sans jugement, à une réalité qui n’avait pas cessé de me « dévisager » mon absence totale de visage. Bref, tout cela était parfaitement simple, ordinaire et direct, au-delà du raisonnement, de la pensée, et des mots. En dehors de l’expérience elle-même ne surgissait aucune question, aucune référence, seulement la paix, la joie sereine, et la sensation d’avoir laissé tomber un insupportable fardeau.

Douglas E. Harding, Vivre sans tête, Le Courrier du Livre, 1978.

(Source idem)

 

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Venir au monde

Eckhart Tolle

Après une première période de sa vie, marquée par l’angoisse et la dépression suicidaire, Eckhart Tolle découvre la vie éternelle et omniprésente au cœur du moment présent. Il réalise alors que l’observation est une voie directe et transformatrice.

Jusqu’à l’âge de treize ans, j’ai vécu dans un état presque continuel d’anxiété ponctué de périodes de dépression suicidaire. Aujourd’hui, j’ai l’impression de parler d’une vie passée ou de la vie de quelqu’un d’autre.

Une nuit, peu après mon vingt-neuvième anniversaire, je me réveillai aux petites heures avec une sensation de terreur absolue. Il m’était souvent arrivé de sortir du sommeil en ayant une telle sensation, mais cette fois-ci c’était plus intense que cela ne l’avait jamais été. Le silence nocturne, les contours estompés des meubles dans la pièce obscure, le bruit lointain d’un train, tout me semblait si étrange, si hostile et si totalement insignifiant que cela créa en moi un profond dégoût du monde.

 

Mais ce qui me répugnait le plus dans tout cela, c’était ma propre existence. A quoi bon continuer à vivre avec un tel fardeau de misère ? Pourquoi poursuivre cette lutte ? En moi, je sentais qu’un profond désir d’annihilation, de ne plus exister, prenait largement le pas sur la pulsion instinctive de survivre.

« Je ne peux plus vivre avec moi-même. » Cette pensée me revenait sans cesse à l’esprit. Puis, soudain, je réalisai à quel point elle était bizarre. « Suis-je un ou deux ? Si je ne réussis pas à vivre avec moi-même, c’est qu’il doit y avoir deux moi : le “je” et le “moi” avec qui le “je” ne peut pas vivre ». « Peut-être qu’un seul des deux est réel, pensai-je. »

Cette prise de conscience étrange me frappa tellement que mon esprit cessa de fonctionner. J’étais totalement conscient, mais il n’y avait plus aucune pensée dans ma tête. Puis, je me sentis aspiré par ce qui me sembla être un vortex d’énergie. Au début, le mouvement était lent, puis il s’accéléra. Une peur intense me saisit et mon corps se mit à trembler.

J’entendis les mots « ne résiste à rien », comme s’ils étaient prononcés dans ma poitrine. Je me sentis aspiré par le vide. J’avais l’impression que ce vide était en moi plutôt qu’à l’extérieur. Soudain, toute peur s’évanouit et je me laissai tomber dans ce vide. Je n’ai aucun souvenir de ce qui se passa par la suite.

 

Puis les pépiements d’un oiseau devant la fenêtre me réveillèrent. Je n’avais jamais entendu un tel son auparavant. Derrière mes paupières encore closes, ce son prit la forme d’un précieux diamant. Oui, si un diamant pouvait émettre un son, c’est ce à quoi il ressemblerait. J’ouvris les yeux. Les premières lueurs de l’aube fusaient à travers les rideaux. Sans l’intermédiaire d’aucune pensée, je sentis, je sus, que la lumière est infiniment plus que ce que nous réalisons. Cette douce luminosité filtrée par les rideaux était l’amour lui-même.

Les larmes me montèrent aux yeux. Je me levai et me mis à marcher dans la pièce. Je la reconnus et, pourtant, je sus que je ne l’avais jamais vraiment vue auparavant. Tout était frais et comme neuf, un peu comme si tout venait d’être mis au monde. Je ramassai quelques objets, un crayon, une bouteille vide, et m’émerveillai devant la beauté et la vitalité de tout ce qui se trouvait autour de moi. Ce jour-là, je déambulai dans la ville, totalement fasciné par le miracle de la vie sur terre, comme si je venais de venir au monde.

Eckhart Tolle, Le pouvoir du moment présent, Guide d’éveil spirituel, Ariane, 2000.

Bibliographie en français :
Le pouvoir du moment présent. Guide d’éveil spirituel (Ariane, 2000)
Quiétude. A l’écoute de sa nature essentielle (Ariane, 2003)

Note : Si vous désirez lire tous les autres témoignages :

http://www.revue3emillenaire.com/lire/lire.php?menu=lire&page=temoins1

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        Serge