De la vertu

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« Il est certain que, pourvu que notre âme ait toujours de quoi se contenter en son intérieur, tous les troubles qui viennent d’ailleurs n’ont aucun pouvoir de lui nuire ; mais plutôt, ils servent à augmenter sa joie en ce que, voyant qu ‘elle ne peut être offen­sée par eux, cela lui fait connaître sa perfection. Et, afin que notre âme ait ainsi de quoi être contente, elle n ‘a besoin que de suivre exactement la vertu.

 

DescartesCar quiconque a vécu en telle sorte que sa conscience ne lui peut reprocher qu’il ait jamais manqué à faire toutes les choses qu’il a jugées être les meilleures (qui est ce que je nomme ici la vertu), il en reçoit une satisfaction qui est si puissante pour le rendre heureux que les plus vio­lents efforts des passions n ‘ont jamais assez de pouvoir pour troubler la tranquillité de son âme.Je ne remarque en nous aucune chose qui nous puisse donner juste raison de nous estimer, à savoir l’usage de notre libre arbitre et l’emprise que nous avons sur nos volontés ; car il n’y a que les seules actions qui dépendent de ce libre arbitre pour les­quelles nous puissions avec raison être loués ou blâmés ; et il nous rend en quelque façon semblables à Dieu en nous faisant naître de nous-mêmes…

Ceux qui sont généreux en cette façon sont naturellement portés à faire de grandes choses, et toutefois à ne rien entreprendre dont ils ne se sentent capables, et parce qu ‘ils n ‘estiment rien de plus grand que de faire du bien aux autres hommes et de mépriser leur propre intérêt, pour ce sujet ils sont toujours parfaitement courtois, affables et officieux envers un chacun.

Et avec cela, ils sont entièrement maîtres de leurs passions, particulièrement des désirs, de la jalousie et de l’envie, à cause qu’il n’y a aucune chose dont l’acquisition ne dépende pas d’eux qu’ils pensent valoir assez pour méditer d’être beaucoup souhaité, et de la haine envers les hommes, à cause qu’ils les estiment tous, et de la peur à cause que la confiance qu ‘ils ont en leur vertu les assure, et enfin de la colère à cause que, n ‘estimant que fort peu toutes les choses qui dépen­dent d’autrui, jamais ils ne donnent tant d’avantage à leurs ennemis que de reconnaître qu ‘ils en sont offensés. »

 

René Descartes (1596-1650)