Partage de passion ou passion partagée ?

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J’aurais pu commencer cet article par ces mots aventureux : « Nous avons tous une passion ou une autre…. » Mais je sais et vous le savez aussi, c’est archi faux ! Alors n’ayant pas spécialement l’intention de prendre mes lecteurs pour des billes, je ne commencerai pas ce nouvel article par un aussi gros mensonge. Et ce ne sont pas les jeunes d’aujourd’hui qui me contrediront, si je me fais bien comprendre toutefois. Une passion, c’est un peu comme avoir un braséro allumé dans la poitrine : on ne sait plus qui brûle qui ni même pourquoi ni depuis quand.

N’est pas passionné qui veut, bien que chacun peut aussi bien employer le mot « passion » comme d’autre emploient le mot « WC » ! Mais là n’est pas le cœur de mon propos.

 

L’idée de départ était de dire que si vous partagez votre vie avec une personne qui ne partage pas votre passion, vous serez… Partagé. Partagé entre votre passion et votre désir de ne pas déplaire à celui ou à celle qui ne la partage pas, mais alors, vraiment pas ! C’est bien ainsi que les choses se passent, pour la plupart de couples, non ? Nous sommes bien d’accords ! Mais que pourrait bien être un partage, en l’occurrence ? Qui devrait partager quoi et avec qui ? La passion, ça ne se commande pas. C’est comme une envie subite d’aller uriner. Bien sur, l’autre peut très bien tenter de «faire des efforts», comprendre s’entrainer à se faire suer comme un rat mort, «par amour» ou pour faire plaisir au conjoint (en un seul mot, je vous prie.)

Mais faire des efforts pourquoi ? Et surtout, pour qui ? Si l’on doit se forcer pour tenter de «partager» une passion, ce sont alors ces mêmes efforts que l’on partage, pas la passion qui était en question. Et une passion ne demande aucun effort pour être entretenue : elle s’entretient très bien toute seule, merci !

 

Par contre, c’est le degré de cohésion d’un couple, qui ne s’entretient pas tout seul. Sinon, ça se saurait, non ? Nous sommes de nouveau bien d’accord ! Et qui parle de cohésion devrait de suite après évoquer la cohérence, dans sa plus simple et définitive acception. Un couple dans lequel un seul est passionné tandis que l’autre fait seulement semblant de l’être, est-ce cohérent, selon vous ?

Combien de temps ça peut «tenir», au juste et selon vous ? Vous me rétorquerez peut-être : « Mais c’est formidable que l’un tente ainsi de faire des efforts pour plaire à autre ! » Quand à moi, j’ignorais le fait qu’il faille forcer pour plaire alors qu’il suffit de plaire «en l’état», c’est-à-dire «tel que l’on est vraiment» et ce, depuis le début de la relation. Pourquoi devrions-nous «faire des efforts» ?

Quelle drôle d’idée, finalement ! Comme je l’écrivais sans l’ombre d’une honte, la passion est un feu dévorant qui se suffit à elle-même et ne demande qu’une seule chose : être exprimée librement. Le passionné des deux n’a donc pas à fournir d’effort pour être qui il est déjà.

 

Et l’autre, alors ? L’autre, s’il n’est pas passionné, c’est qu’il ne l’était pas auparavant. Une passion naît toujours avec celle ou celui qu’elle se mettra en devoir de dévorer, sa vie durant. On ne devient donc pas passionné : on l’est ou on ne l’est pas, un point c’est tout. Dès lors, où se situe l’embrouille, si embrouille il y a ? Et je vous confirme qu’embrouille, il y aura. Tôt ou tard. Cela sous la forme d’une des deux personnes conjointes qui devra cesser d’être ce qu’elle est pourtant ! Ah bon ? Mais oui, et à l’évidence !

Réfléchissez deux secondes. Si c’est du passionné des deux dont on doit parler, alors disons qu’à un moment donné, il réalisera que sa passion non partagée, oblige l’autre à faire des efforts et, en un sens, à ne plus être lui tel qu’auparavant, avant que lui vienne cette idée saugrenue de «singer» son/sa partenaire. Dès lors, le passionné des deux devra mettre sa passion en sourdine, voire lui demander d’atténuer son feu, afin d’épargner à l’autre des efforts aussi inutiles qu’épuisants à la longue.

 

S’il s’agit plutôt de celui qui fait des efforts pour encourager l’autre à exprimer sa passion, disons qu’il ne tiendra pas le coup bien longtemps. Avant peu, il en aura marre de se trahir ou pire, de se rendre peut-être ridicule, lui qui, finalement et il est vrai, n’a jamais eu aucune passion. Avant peu, soit l’un se sentira obligé de se trahir, soit ce sera l’autre qui partagera ce même ressenti. Voilà la seule chose que «partagent» celles et ceux incapables de s’accepter en l’état. Notez que je n’écris pas «de s’accepter l’un l’autre tel qu’en eux-mêmes» mais bien «de s’accepter chacun d’eux et pour eux-mêmes, tels qu’ils sont réellement.» Accepter l’autre en l’état est bien moins risqué que de s’accepter soi, vous pouvez me croire ! Il est facile d’accepter l’autre : il n’y a rien à faire pour cela, puisque l’autre est exactement ce qu’il est déjà (sic)

Mais s’accepter soi relève au moins d’un tour de force digne des grands cirques Barnum ! Être soi est risqué, surtout quand être soi amène à déplaire ! Ou nous amène à croire que nous allons déplaire, ce qui en fait reviens exactement au même. En plus, le combat est disproportionné et en fait, tout sauf équitable.

 

En effet, l’un devra continuer à être passionné, porté littéralement par le feu de cette passion qui le meut, ce qui est peu fatiguant, tandis que l’autre devra «faire des efforts» dans le temps et risquer de penser que l’autre va croire qu’il(elle) ne l’aime plus, si ces efforts en arrivaient à disparaitre un jour. Voilà qui est au moins épuisant, si ce n’est mieux ! Et devinez un peu qui devrait «lâcher» le premier, succomber à sa méthode efficace d’auto-trahison ? Celui qui à force d’efforts n’en a plus à commettre, justement. Et l’un qui est épuisé se mettra à jouer l’air de la déception de soi ou de la rancune envers l’autre, tandis que l’autre se sentira responsable de tout et de rien, alors que pour tout, il n’y est pour rien (relisez, au cas.)

 

Mais au fait…. Pourquoi un couple devrait-il « partager » une même passion ? Pourquoi devrait-il partager autre chose que ce plaisir sain et naturel d’être ensemble et de se sentir bien ? Le mot «partager» ainsi que le concept qu’il est censé véhiculer, sont pour le moins piégeux. Sauf si à l’instar de Jésus, on est capable de partager le pain et les poissons mais… à sa manière ! Mais pour toute personne se rêvant ordinaire, partager est souvent synonyme de RÉDUCTION. Il est rare qu’en partageant le pain, il y en ait toujours plus et, surtout, pour tout le monde ! Ainsi, tenter de partager ce qui ne l’est pas déjà, reviens à réduire au moins de moitié ce qui existe déjà et ne demandait en fait qu’à s’exprimer.

 

Si vous avez du mal à capter ce dernier concept (partager = réduire, faire diminuer), achetez donc une baguette de pain au supermarché, puis essayez de la partager en plus de dix morceaux et vous verrez ce qu’il vous reste lorsque vous tenterez d’en extraire un onzième morceau ! C’est cela «partager» : cela revient à réduire ce qui est mais à ne rien ajouter à ce qui n’est pas encore et n’a sans doute pas à être avant longtemps.

Une passion se partage seul, si je puis dire. Elle est faite pour soi, raison pour laquelle c’est soi qui en vit (ou en subit) le Feu. Si la Grande Vie désirait que le Partage soit, chacun de nous naîtrait à tous les coups avec au moins une passion commune a un certain nombre d’autres personnes et ce sont uniquement ces dernières qui se rencontreraient entre elles, en étant heureuses puisque non obligé de partager… Ce qui l’est déjà.

Or, il est clair que ce n’est pas le cas ! Mais il existe toutefois une chose à la fois magnifique et unique à partager vraiment : le fait que nous soyons tous à la fois si différents et pourtant si semblables.

Voilà ce que j’avais à vous partager.

 

Serge Baccino