Un Soi à moi ou un moi à Soi ?

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Un Soi à moi ou un moi à Soi ?

 

Posons d’entrée de jeu la question la plus intéressante qui soit, du moins pour une personne se prétendant spiritualiste si ce n’est mieux : « Doit-on aimer son « moi » (social ou humain) ou au contraire, tout faire pour s’en défaire ou pour s’en distinguer ? » Ainsi posée, cette question laisse entendre la présence d’un problème métaphysique qui correspond hélas à la plus évidente réalité : les gens en recherche de plus de Lumière, ignorent totalement si ce qu’ils sont correspond bien à ce qu’il pourraient être, voire à ce qu’il devraient être vraiment.

 

Certaines écoles de pensée ont eu l’idée saugrenue de faire passer « l’ego » pour l’empêcheur d’évoluer en rond. Or, l’ego (« je suis » en Latin) ou le « moi », c’est du pareil au même. Partant, avant de gracier ou de condamner le « moi » ou « ego », encore faudrait-il réussir à définir ce qu’ils sont ou ce qu’ils représentent. Même juger nécessite de comprendre afin de discriminer. A moins que l’acte même de juger soit préférable à celui de comprendre de quoi il retourne vraiment ? Il appartient à chacun de décider librement en la matière. Notre propos n’étant pas de verser dans la morale judéo-chrétienne mais seulement dans la logique pure. Et il nous apparaît comme logique de chercher à comprendre avant de cautionner ou de rejeter en partie ou en bloc.

 

Or donc, il est ici question de « moi » « d’ego » ou de toute autre dénomination susceptible de désigner avec quelque précision, « cela qui en nous, prétend être soi. » C’est d’ailleurs la définition approximative la plus intéressante pour tenter de nommer ce que nous connaissons depuis sous les vocables « moi » (ou bien « ego. ») Et comme un nom ne saurait désigner ce que nous sommes mais essentiellement ce qui constitue ce que nous sommes supposés être, le « moi », et nous conserverons cette appellation, doit nécessairement se référer à la somme de tout ce qui, au jour de maintenant, circonscrit le mieux ce que nous pensons être.

 

Sommes-nous ou pensons-nous être seulement ? La question est redoutable, sans doute presque autant que la réponse. Car être présuppose une condition préalable, peut-être évolutive et donc changeante, ou peut-être pas ! Une chaise reste ce qu’elle est, ce qui lui permet d’être reconnaissable grâce à la destination première qui lui a été assignée. Supposer être sous-entend d’émettre un jugement au sujet de ce qui est, d’en avoir une version et donc, un point de vue, ne correspondant pas nécessairement à celui de tous. Par exemple, je puis être un homme et penser ne pas l’être « assez » ou « complètement ». Ce qui présuppose non pas seulement un état, celui de mon Genre, mais d’une version toute personnelle et donc limitée, de ce que je suis et de toute manière.

 

On peut déjà en déduire que le « moi » est soit une chose qui est telle qu’elle doit être et qui le demeure, soit une chose soumise au jugement et donc, à l’action de quantifier, de mesurer ou de comparer. Mon « moi » est-il supérieur ou inférieur à celui d’un autre ? L’est-il ? Mais selon quels critères d’évaluation ? Est-il seulement comparable ? S’il est unique, il ne peut être comparé à rien d’autre. Et s’il est relatif à une personne unique, il ne peut être qu’unique également. Dans ce cas, le besoin de quantifier, d’évaluer en vue de comparer, ne peut provenir que d’une version amoindrie de ce qui est, en comparaison non pas de ce que sont « les autres », mais plutôt de ce que « devrait être » ce « moi » qui semble ne pas l’être ou du moins, ne pas l’être suffisamment.

 

Pour simplifier notre propos, nous dirons ici que le « moi » est considéré comme « insuffisant », c’est-à-dire NE PAS CORRESPONDRE à certaines attentes, à des critères de qualité et/ou de quantité, ce qui représente presque la majorité des cas. En effet, il est rare qu’une personne soit satisfaite de son « moi » et réussisse à l’aimer « en l’état » sans souhaiter l’amputer de quelque défaut ou problème ou, et à l’inverse, lui adjoindre quelque qualité ou capacité. Mais pourquoi ne pas s’accepter en l’état, me demanderez-vous ? La réponse pourrait sembler évidente, bien qu’elle ne le soit pas vraiment :

« Parce que le contenu formel de ce « moi » ne correspond pas (ou bien rarement) aux ATTENTES de la personne. » Plus sobrement, ce qu’est vraiment la personne ne correspond pas à ce qu’elle aimerait être, raison pour laquelle elle ne peut pas aimer ce qu’elle est pour le moment. Mais pourquoi un tel décalage temporel (« pour le moment ») ?

 

En réalité, ce n’est pas le temps qui doit rentrer en ligne de compte, cela parce que la personne juge que ce qu’elle est « pour le moment », ne correspond pas encore à ce qu’elle projette d’être, en ce moment ! Et puisque l’état d’être (« le moi » actuel) et le projet (le « moi » idéal) se manifestent en simultané dans le mental de cette personne, on peut en conclure que le décalage n’est pas temporel mais… Psychologique. Si cette personne n’était pas persuadée de devoir être autre chose que ce qu’elle est déjà, elle serait satisfaite de ce qu’elle est. D’où provient ce décalage purement psychologique ? Il provient d’idées préconçues, de croyances erronées, de conditionnements mentaux, en peu de mots. La personne s’imagine, par exemple, que si elle était plus aimable, belle ou intelligente, elle serait mieux acceptée, voire aimée plus encore.

 

C’est le syndrome de rejet de tout ce qui ne s’inscrit pas dans le cadre étriqué d’une société basée sur le besoin irrépressible d’être reconnu et accepté sinon aimé, cela au risque de se voir rejeté et donc exclut de ce cadre. Les plus jeunes d’entre nous étant évidemment les plus sensibles à cette dépendance socioculturelle, à ce besoin compulsif de « correspondre » et donc, « d’en faire partie à tout prix. » De correspondre aux attentes du plus grand nombre et de faire partie de ceux qui y parviennent rapidement et surtout, oui surtout, durablement !

 

En somme, le « moi » des personnes qui vivent à notre époque est nécessairement névrosé, puisqu’il est impossible d’incarner autre chose que ce que l’on incarne déjà. Il est bien sûr possible de mentir, de tricher et de réussir à « donner le change », mais combien de temps et au prix de combien d’efforts ? Sans compter que celui qui joue un rôle autre que le sien propre, a tout intérêt à ne jamais oublier les bonnes répliques de son faux scénario !

 

Il est un fait que l’éducation (parents) et l’instruction académique (écoles), formatent quelque peu le contenu de nos charmantes têtes blondes. Mais même la présence d’idées erronées et induites de force, n’explique pas pourquoi ces mêmes idées perdurent une fois atteint l’âge adulte. Il peut nous être imposé bien des choses c’est un fait, mais quand un tel pouvoir ne s’applique plus, comment expliquer la persistance de tous ces schémas qui font d’un homme un vulgaire robot ? Si un parent a effectivement le pouvoir de restreindre la liberté de son enfant, qu’est-ce qui peut bien prendre le relais, lorsque ce parent a disparu et que l’enfant est devenu un adulte ? Toutes ces « missions » et autres « devoirs » qui furent les nôtres durant notre jeunesse, continuent à s’exprimer peu ou prou par la suite et parfois, notre vie durant.

 

Sans arrêt, ce que nous sommes ou avons réussi à être, se compare avec ce qui devrait être et donc, devrait être exprimé, si possible aux yeux de tous. D’où ce besoin de compenser les limites et défauts supposés du « moi », par la présence d’un « Moi-Idéalisé », censé réussir et assurer là où échoue par défection le « moi » originel. La présence de ce « moi » de procuration suffit-elle à compenser ou à nier les limites naturelles mais non supportés, du « moi » premier ? La réponse est catégorique ainsi que sans appel : « Non, cela n’arrive jamais. » Pour la simple raison que le second « moi », celui de procuration, étant créé de toutes pièces dans l’espoir de nier ce qui est, ne saurait inventer que son strict opposé, soit « ce qui ne peut être ni se manifester. » D’autant que le « Moi-Idéalisé », comme son nom l’indique, est censé engendrer des conditions tout aussi idéales et donc, aussi illusoires qu’impossibles à incarner.

 

On dit que même les dieux meurent aussi. Les héros ne sont pas immortels et le plus héroïque de tous refuse toujours de relever le plus terrifiant des défis : réussir à s’assumer en l’état et même, apprendre à aimer ce que d’autres ne font qu’éluder ou nier dès que possible. Il est clair que si le « moi » n’était pas jugé, comparé et porteur d’espoirs immatures, il pourrait satisfaire n’importe lequel d’entre nous. D’autant que, et c’est là le côté comique, le « moi » bien que supposé nous distinguer, est en fait ce qui nous permet de le faire ! Comprendre « de nous distinguer au lieu que ce soit lui qui nous distingue » (fasse de nous une personne unique.) C’est ce que nous allons démontrer tout de suite, à l’aide de la seule logique.

 

Mais essayons tout d’abord de comprendre ce qu’est le « moi », je veux dire comprendre ce qu’il représente réellement, voire « dans l’absolu. » Et dans l’absolu, ce qu’il représente, ce n’est pas ce que nous sommes mais bien « ce que nous sommes devenus. » Le « moi » humain est la somme de nos mémoires, de ce que nous avons appris à être ou à croire que nous étions. Sommes-nous réellement et « seulement » cet homme ou cette femme naît en telle année, en telle ville de tel pays et issu de tels parents ? Autrement dit, le « moi » n’est-il pas, finalement, un simple « historique » de quelque chose d’autre que ce que nous sommes vraiment ? Le « moi » parle bien moins de NOUS que de tout ce qui NOUS concerne, raison pour laquelle il existe un mot qui prétend s’opposer au « moi » en cela QU’IL EST ce que le « moi » se borne à NOMMER seulement. Il s’agit du « Soi. »

 

Même la personnalité avec notre caractère censé « nous caractériser », répond seulement à ce même historique de l’être que nous sommes. En effet, si nous n’avions pas vécus telles expériences en correspondance avec telles personnes, ces interactions auraient fait de NOUS autre chose que ce « moi » qui a pour rôle unique de sanctionner le peu de SOI que la vie nous a permis d’exprimer. Le « moi » est comparable à cette quantité de nourriture que notre corps est capable d’assimiler vraiment. Nous pouvons manger beaucoup et notre corps ne profiter que de très peu de nutriments ou, et à l’inverse, nous pouvons manger très peu sans espoir de réussir à maigrir.

 

Nous comprenons sans peine que si le « Soi » représente notre potentiel à être, le « moi » sanctionne ce « peu » que nous avons réussi à rendre manifeste de ce même Soi. Mais comment être certains que ce que nous sommes, en vérité, est bien plus vaste que les limites évidentes de notre « moi » humain ? Pour en avoir la preuve, il faudrait que nous soyons « Deux », alors que nous paraissons être « Un » seulement. Il faudrait que le « moi » ne soit pas la seule chose qui puisse nous définir, mais l’une de ces choses seulement.

 

Or, nous avons cette chance de réussir à nous prouver à nous-mêmes, que définitivement, nous ne sommes pas ce « moi » mais Cela qui s’est oublié en lui, se croyant, au fil du temps, n’être que ce peu qu’il avait réussi à rendre manifeste depuis ce potentiel énorme qui le caractérise, qui nous caractérise tous. Car en puissance (potentiellement), nous sommes tous infiniment plus que ce que nous paraissons être. Nous ne sommes pas ce « moi » frileux et incapable de s’adapter sans se trahir, voire sans se prostituer : nous sommes des Soi, c’est-à-dire des êtres qui incarnent – ou devraient plutôt le faire – le Verbe Être au plus que parfait de l’éternel présent !

 

Fort bien, mais quelle preuve avons-nous de ce qui est avancé ici ? Nous avons une preuve qui se trouve juste sous notre nez et qui est issue de notre capacité ou de notre incapacité à assumer ce que nous croyons être depuis notre naissance ! Jugez plutôt : puisque nous sommes capables d’aimer le « moi » qui est le nôtre ou, et au contraire, de le détester ou de vouloir le nier, cela en tentant naïvement de le remplacer par un autre, bien plus lumineux et fort, nous devrions être capables de comprendre cette vérité proposée ci-dessous :

« Le seul fait de pouvoir aimer ou même détester notre « moi », prouve que nous sommes distincts de lui, qu’il existe d’un côté ce « moi » et de l’autre, quelque chose qui le juge, voire le condamne et ne rêve que de s’en débarrasser ! »

 

Et cela qui aime ou déteste ce « moi », c’est le Soi, c’est-à-dire « ce que nous sommes vraiment. » Et au vu de ce que nous sommes vraiment, il est naturel de juger puis de condamner sans appel les limites de quelque chose incapable de rendre toute la mesure de « Qui nous sommes vraiment » ! Et qu’est-ce que « le Soi », en fait ? De cela nous traiterons peut-être prochainement, dans un article séparé, même si le sujet a déjà été traité et à maintes reprises ici ou ailleurs.

 

Serge Baccino