Le Nagual et le Tonal – Par Oromasus (Article invité)

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Je vais essayer de résumer ici une question qui me paraît importante, la distinction entre le NAGUAL et le TONAL, notions auxquelles font référence certaines traditions d’Amérique centrale. La langue que nous employons, nous permet de découper le monde en parties distinctes et parfaitement intelligibles. Du moins cela semble bien être la manifestation actuelle d’une tendance qui s’accélère dans ce sens, au point que la plupart des scientifiques reconnaissent aujourd’hui les excès et les dangers du réductionnisme. Nous voyons le monde comme nous le parlons, ou plutôt, nous classons les éléments de notre environnement en fonction des catégories propres à notre culture, des mots qui constituent notre vocabulaire, du moment particulier que nous vivons, etc… Cette vision, qui résulte en majeur partie de l’activité de notre coté droit mais qui n’en à pas moins une réalité propre dans le monde qui nous entoure, peut par exemple être appelée TONAL. Peut être peut on y voir une lointaine ascendance avec le Yin et le Yang asiatiques, encore que les deux notions soient distinctes.

 

 

 

Pour illustrer cela, imaginons un nouveau né. Il commence par percevoir une sorte de chaos perceptif, avant d’organiser peu à peu ces millions de données en des ensembles de plus en plus cohérents. En quelque sorte, il refait en quelques mois le parcours évolutif qui a demandé des millions d’années à l’espèce, et cela pour une question d’adaptation évidente.

On peu facilement observer qu’une partie de l’attention du nourrisson se spécialise et se détache petit à petit du magma d’informations auquel elle est soumise, pour ne retenir en définitive qu’un certains nombres d’éléments du monde qui l’entoure. Une nouvelle sorte de pensé est en train de naître, et peut être est-ce précisément cela que nous appelons généralement conscience, en opposition avec l’inconscient, l’âme ou encore l’attention seconde ?

Le reste, ce qui dans le monde ne retient pas notre attention, c’est à dire, ce dont nous n’avons pas conscience dans notre vie quotidienne, peut être appelé Nagual. Le domaine du Nagual est immense, à tel point qu’il pourrait être comparé à un océan ; le Tonal devenant alors par analogie une petite île émergeant des flots.

Pourtant, nous ne prêtons la plus part du temps attention qu’à cette minuscule partie de conscience, à laquelle nous nous identifions d’ailleurs au point de finir par croire qu’elle constitue notre moi total. Triste avatar de nous même, qui exclue ce que nous avons de plus chers. Notre liberté ! Notre fluidité !

 

 

 

Le Nagual se caractérise par une efficacité redoutable et terrifiante, dont font preuve par exemple les animaux sauvages pour survivre. Nous avons été éduqué pour l’évacuer de nos considérations à chaque fois qu’il tend à faire irruption dans notre vie quotidienne, surtout quand il menace l’ordre établi.
Il s’agit d’un apprentissage générationnel et social, qui peut mener de fait à une forme d’aberration du mental analytique dont parle si bien Serge.

Le Tonal est sécurisant, normatif, et il a tendance à enfermer l’esprit dans des cadres restreints qui peuvent finir par étouffer notre créativité vitale. Le drame dans tout ça, c’est la séparation qui s’opère entre les deux entités pourtant complémentaires que sont le Tonal et le Nagual. Chez l’homme moderne adulte, cette fracture peut être représentée comme une barrière énergétique presque insurmontable. L’adolescence, période où nous passons du stade d’enfant à celui d’adulte, est propice aux troubles de la personnalité, qui se manifestent d’ailleurs souvent par des phases de déprimes.

 

L’organisation sociale à laquelle nous devons nous conformer pour survivre, achève de couper les ponts avec le Nagual, et beaucoup d’entre nous le déplorent sans pouvoir expliquer ce qui se passe vraiment. Partout dans le monde, un grand nombre de traditions font référence à cette séparation. Le monde des ancêtres très répandu, ou celui du rêve chez les aborigènes, est la plupart du temps associé à un passé glorieux où les hommes vivaient mieux et plus longtemps. Le paradis ou jardin d’Eden n’échappe pas à cette catégorie de mythes.

Les gnostiques, contemporains des premiers chrétiens, considéraient par exemple que chaque homme était rattaché à la source éternelle de la vie par une étincelle, qui dormait au plus profond de lui. Ainsi, chaque homme pouvait renouer le contact avec cette force vitale, et retrouver ainsi le chemin du royaume d’Ahura Mazda, état duquel Ariman le ténébreux les avait temporairement soustrait en les enfermant dans la matière du Tonal. J’extrapole un peu, mais le parallèle est à peu près exact.

En effet, nous pouvons renouer le lien avec le Nagual par la méditation, ou par la pratique du rêve. Ces méthodes sont à recommander d’ailleurs, car une rencontre directe et trop brutale en état de conscience normal peut entraîner de fâcheuses conséquences, comme l’éclatement définitif du Tonal qui casse au lieu de plier. En règle générale cependant, le Nagual se manifeste sans que nous ne le recherchions, en s’imposant de lui-même, ce qui peut même donner à certains l’illusion d’une illumination mystique, ou le souvenir d’avoir été visité par un ange ou même par Dieu en personne.

 

 

Mais la plupart du temps, la rencontre avec le Nagual échappe au souvenir un peu comme le rêve nous échappe au réveil. Pour ne pas risquer l’éclatement de notre Tonal protecteur, maître de notre raison et de nos certitudes les plus ancrées, nous reconstituons de toute pièce un souvenir cohérent à partir d’éléments familiers. Ce faisant, nous en profitons pour exclure tout ce qui est trop abstrait pour être conçu de manière sensée. Il s’agit la précisément d’une forme d’aberration du mental analytique qu’on pourrait comparer à la tyrannie de l’Ego. En ça réside une des particularités les plus étranges du rêve, et de ce genre d’expériences. Le Nagual est présent et actif en chacun de nous, mais comme il ne fonctionne pas sur le même plan que la raison, nous ne pouvons pas le penser consciemment et encore moins en parler clairement. Par conséquent ses manifestation passent la plupart du temps inaperçues.

 

 

Mais au-delà de cette approche psychologique ou psychique, il faut savoir que ces deux mots désignent aussi deux principes fondamentaux qui correspondent à deux niveaux de réalité du monde. Le Tonal peut être appréhendé grâce à la première attention, il est un monde essentiellement composé d’objets, le Nagual quand a lui participe du niveau énergétique, et en cela il ne peut être perçu qu’au moyen de la seconde attention, ou conscience accrue. On rejoint en cela le principe universel du Yin et du Yang évoqué plus haut. Enfin le Nagual est aussi le terme employé pour désigner un être éveillé. Il est littéralement « celui qui a réalisé en lui un état d’esprit qui lui donne accès en permanence au grand réservoir de connaissance du Nagual transcendant ».

Ce chef naturel n’en reste pas moins connecté au Tonal, mais celui-ci est dompté et fonctionne en parfaite adéquation avec son pendant énergétique complémentaire.

 

 

 

Steph (Oromasus – Du Blog Eon de l’Etoile.)

Première parution le lundi 9 mai 2005