Le dernier support de la matrice artificielle

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Le dernier support de la matrice artificielle

Notre vie entière a été basée sur un mensonge. Ce mensonge se résumant à croire et, surtout, à faire croire à autrui, que nous sommes capables de changer. Bien sûr, nous tentons, plus ou moins adroitement, de nous améliorer, mais en fin de compte, nous revenons à nos fondamentaux liés au mensonge à soi, qui sont et par exemple, de nous chercher des excuses au sujet de notre incapacité à nous améliorer vraiment et durablement ou, pire encore, de rendre les autres responsables de nos échecs en matière d’évolution. Ce n’est jamais de notre faute si nous échouons mais celles de circonstances extérieures indépendantes de notre volonté et de la négativité d’autrui. Et jusqu’à présent, il nous faut bien l’avouer ici, le stratagème a correctement fonctionné et personne n’y trouvait à redire, sauf ceux qui employant les mêmes méthodes, tentaient de la dénoncer chez les autres.

Par ailleurs, qui n’aime pas critiquer les uns et les autres, évidemment en leur absence ? Avez-vous ressenti ce besoin quasi viscéral de déblatérer sur celles et sur ceux que nous prétendons aimer ou seulement considérer comme des amis ? Quelle détente cela nous procure-t-il, l’aviez-vous remarqué ? Attention, il n’est pas ici question de se mettre en danger immédiat en reconnaissant la chose pour vraie nous concernant ! Nous pouvons, comme à notre ordinaire, arguer du fait que cela concerne surtout les autres et qu’il leur revient de faire une chose que nous refusons de faire nous-mêmes : assumer !

Quel drôle de mot que celui-là, ne pensez-vous pas ? Assumer ? Mais quelle horreur ! D’ailleurs, assumer… Quoi ? Quelle est notre faute présumée, lorsque nous traitons des limitations des autres qui elles au moins, sont sous notre nez ? Nous n’avons rien à assumer. Surtout pas le fait que nous sommes terrorisés à la seule idée de devoir le faire ! De devoir assumer. Mais pourquoi cette peur de devoir assumer ? Et assumer quoi, au juste ? La réponse est fort simple : voyez-vous les défauts « évidents » des autres ? Comprenez-vous que s’ils ne changent pas, ne font pas en sorte de supprimer ces mêmes défauts de leur personnalité, c’est qu’ils refusent d’en admettre la présence en eux ? En effet, nul ne va chez le médecin s’il ne se pense pas d’abord être malade. S’il accepte d’être malade, pour être plus précis !

Ainsi, nombreux sont ceux qui refusent d’assumer ce que les autres perçoivent pourtant. Très bien, on sait déjà qu’ils refusent d’assumer, reste à comprendre le pourquoi. Mais auparavant, essayons un peu d’inverser la proposition et de définir en quoi il serait plus aisé de voir la paille dans l’œil du voisin, plutôt que la poutre dans notre propre œil, selon l’expression populaire consacrée. Immédiatement, il nous vient cette idée : « Parce que ces défauts ne nous concernent pas ! » Voilà pourquoi il est plus facile de voir ce qui cloche dans une autre paroisse que la nôtre. Admettons, mais allons plus loin : et si nous avions nous-mêmes des défauts identiques, serions-nous capables de le voir ou non ? C’est ici que nous devons faire une distinction entre une incapacité de voir vraiment et une volonté de passer outre !

En effet, il est rare que nous n’ayons pas, autour de nous, des gens « bien intentionnés » qui ne se gênent pas pour nous décrire en long et en large, ce qui, selon eux, relèverait de nos défauts et manquements les plus notoires. Et généralement, que faisons-nous spontanément ? Nous nions, refusons d’admettre ou nous cherchons des excuses ne servant en réalité qu’à biaiser le sujet. En clair et en peu de mots, nous refusons d’assumer ce qui, selon les autres, nous appartient en propre. Pourquoi ce refus souvent catégorique, quand il ne s’accompagne pas d’allusions perfides, d’insultes voire de menaces ? Pour la même raison que chacun de nous et donc, « les autres » compris, refusons d’assumer ce qui, en nous, n’est pas vraiment à notre avantage.

Nous refusons, ils refusent : nous conjuguons le verbe « Je n’assumerai pas » au plus que parfait de l’éternel présent, à savoir jamais et sous aucun prétexte. D’ailleurs, en cas de force majeure, dans les cas assez rares où une personne est obligée d’admettre ses torts et l’ensemble de ses défauts, que trouvons-nous alors ? Une solide dépression, une descente aux enfers, comme disent ceux qui ont des lettres. En clair, la personne est totalement démoralisée, démotivée et n’a qu’une seule envie c’est de ne plus exister. On dit alors qu’elle vient de perdre le sens de sa valeur et donc, de son utilité en ce monde. Mais ce n’est pas totalement exact. Une personne démotivée, démoralisée et qui ne trouve plus de goût à la vie qui fut pourtant la sienne, durant des années, est avant tout une personne qui ne peut plus se mentir et qui a été forcée à assumer.

À assumer… Quoi ? Ses défauts ? Cela serait un moindre mal, si cette même personne se sentait capable de les supprimer un à un voire tous en même temps ! Mais ce n’est pas le cas : ce qui est alors ressenti est plus de l’ordre d’une impossibilité mathématique. Puisque la personne vient de reconnaître, contraire et forcée, que ces défauts réputés innombrables sont bien à elle, force lui est de reconnaître que c’est ce qu’elle est, finalement. Elle ne se ressent pas alors comme « porteuse de défauts en elle », elle se ressent comme étant la somme de ces défauts, ce qui est très différent ! Voilà pourquoi les gens, et en règle générale, refusent catégoriquement de reconnaître leurs torts, leurs manquements et défauts, quand bien évidemment ils sont avérés et non plus projetés par autrui dans l’espoir immature d’en être débarrassés.

Il y a, derrière le refus d’assumer, une peur immense, une peur atavique qui prend aux tripes et ce n’est pas peu dire. Ni se trouver à côté de la plaque, comme on dit. Cette peur viscérale, comme semble l’indiquer son nom, n’est pas ou n’est plus relative au contenu des schémas mentaux propres à l’âme mais à ce qui a été incrusté et donc mémorisé dans les cellules du corps de chair. Et on se souvient que c’est le subconscient, qui est la somme de l’intelligence et de la mémoire de toutes les cellules de notre corps physique, qui a pour mission de retenir puis de classifier le contenu de notre vie. Dire que ce que nous avons vécu nous a marqués devient un doux euphémisme lorsqu’on réalise, impuissant, que le corps refuse catégoriquement de changer ou même d’évoluer, que c’est lui, désormais, et non notre âme, qui nous transmet directement cette peur immense à la seule idée de devoir changer.

Mais enfin, pourquoi cette peur et surtout, ce refus catégorique de changement, cela au point de préférer le mensonge à la vérité, le refus d’assumer à une saine reconnaissance de notre entière responsabilité dans tout ce qui nous concerne ? Pour le comprendre, il nous faut auparavant redéfinir notre vision du corps physique. Selon la science moderne et durant quelques années encore, notre corps a été et sera considéré comme étant matériel, solide, autrement dit, fait de matière et surtout pas d’esprit ! Voyez-vous, l’esprit est volatil, instable et il souffle où il veut, tandis que le corps lui, est fait pour être stable ou, et plus exactement, stabilisé. Alors que l’esprit est impondérable et toujours en mouvement, la chair est réputée non seulement « solide » mais statique. C’est dans cette dernière version de notre corps que nous trouvons d’ailleurs sécurité et confort mental.

Si le corps variait autant et avec la même facilité que l’esprit, nous ne saurions même plus qui nous sommes, d’un instant à l’autre ! Avez-vous bien assimilé cette dernière proposition ? Elle implique que nous avons un besoin irrépressible de nous sentir égaux à nous-mêmes, d’un instant à l’autre. Nous avons besoin que dure le plus longtemps possible « ce que nous sommes ou croyons être », peu importe quoi, du moment que c’est stabilisé et donc durable. Mais voici une question importante : « Qui a vraiment besoin de cette stabilité marmoréenne pour se sentir être et perdurer ? » L’esprit ? Certainement pas ! La preuve, il remue sans cesse, allez voir dans votre tête ! La conscience, alors ? La conscience est sa propre preuve, si l’on peut dire et n’a donc aucun besoin de se sentir exister au travers d’une forme plutôt qu’une autre.

S’agirait-il de l’âme, dans ce cas ? Nous approchons, nous chauffons, pourrions-nous dire. Cela dit, qu’est-ce que l’âme, si ce n’est un ensemble plus ou moins hétéroclite de processus mentaux qui génèrent différentes émotions ? Mais nous savons déjà que pour l’âme, accordée à « la Nature qui a horreur du vide », l’essentiel est que quelque chose soit là, pour animer. Il est donc possible de remplacer des bouts d’âme par d’autres et ce, jusqu’à ce qu’il ne reste plus, en fin de compte, la moindre parcelle d’identité originelle. Autrement dit et plus simplement, à la fin du processus, il ne reste quasiment rien de ce que nous étions au départ. Celui qui part n’est pas celui qui arrive, comme on dit aussi. Du moins, ce que nous pensions être et que différentes émotions, plus ou moins fortes, nous aidaient à manifester sous la forme d’un « moi » social ou humain.

En résumé, les gens ont une sainte trouille de devoir assumer leurs erreurs et défauts, cela parce que ça les obligerait à avouer qu’ils sont devenus ces erreurs et défauts, que c’est leur propre corps qui les incarne, désormais. Et le corps a très peur de mourir. Changer, pour lui, reviendrait à mourir, c’est évident, puisqu’il n’incarnerait plus la même chose alors qu’il ne connaît que ce qu’il incarne déjà. Le dernier rempart, le dernier support à la matrice et qui refuse de ne plus l’être, c’est donc notre corps de chair. Et il refuse de changer, et nous sommes apparemment impuissants à le faire. Pour que le corps soit transformé, il faudrait qu’une conscience vivante remonte des profondeurs de cette planète et purifie ce corps. Nous laissons au lecteur le soin d’imaginer le reste, la suite et fin !

 

Serge Baccino