Doit-on sortir de l’illusion

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Doit-on sortir de l’illusion ?

On parle beaucoup d’éveil, actuellement et sans doute plus que jamais, auparavant. Mais qui dit « éveil » dit également sommeil, car ne peut se réveiller que celui qui dort, selon toute logique. Dormons-nous ? Nous ne le croyons pas. Rêvons-nous ? Nous ne le croyons pas non plus. Nous avons lu, dernièrement, que seule la personnalité peut parler d’éveil, alors que l’éveil est l’absence même de personnalité.

Sommes-nous d’accord avec cette très jolie formulation ? Certainement pas ! Cela parce qu’elle consiste à soigner une carie avec un marteau-piqueur. Rien n’est plus dangereux que ce genre de sentence qui se veut d’un degré de spiritualité absolu. Et comme l’absolu n’existe pas, ne pouvant pas être atteint, force nous est de constater que les spiritualistes modernes abusent et exagèrent un enseignement qui était préalablement réservé à des mentalités très différentes des nôtres et, surtout, bien plus subtiles.

Affirmer que la personnalité doit disparaître, que c’est là la seule forme authentique d’éveil est bien plus qu’abuser, en fait : c’est simplement ridicule ! Cela parce que c’est bien une personnalité qui a eu l’idée de génie d’accoucher d’une telle ânerie. En ce sens, cette personnalité-là devrait effectivement disparaître, faisant ainsi une œuvre utile à tous ! Les choses qui se produisent sont toutes bonnes. Tout est déjà là, tout est accessible, tout est permis, puisque présent et donc immédiat, mais pour autant, tout n’est pas utile.

C’est en nous inspirant cette allusion à la célèbre phrase de saint-Augustin (« Tout est permis mais tout n’est pas utile ») que nous allons tenter d’étayer quelque peu nos présentes propositions. Commençons par le début : devons-nous oui ou non nous réveiller ? Réponse non, puisque nous ne dormons pas. Devons-nous devenir des « éveillés » ? Non plus, car il serait alors précieux d’apprendre en quoi cela consiste.

Si nous ne dormons pas, nous n’avons ni à être éveillé, ni à nous réveiller. Par contre, nous pouvons nous montrer plus attentifs aux faits et en tirer les conclusions logiques qui s’imposent d’elles-mêmes. Autrement dit, plutôt que l’éveil, qui ne veut rien dire, nous devrions être bien plus attentifs à ce qui se produit en nous et autour de nous. Ensuite, il serait de bon ton d’établir de justes relations entre ce qui semble se produire au-dehors et par l’intermédiaire des autres, et ce que nous conservons et utilisons comme processus mentaux.

En somme, nous devrions toujours chercher à connaître puis à comprendre la relation évidente qui existe entre ce qui nous arrive sans cesse et que nous nommons « notre vie de tous les jours », et notre manière de penser, de croire et d’exprimer qui nous croyons être ou devoir être. Ainsi, le problème n’est pas tant que nous dormons et devons de ce fait nous réveiller, que de retrouver ce goût normalement inné de l’étude de soi.

Orienter différemment notre attention mentale et interroger la vie au lieu de croire que nous en connaissons déjà l’essentiel à son propos. En effet, nous agissons comme si nous connaissions déjà toute l’histoire, du début à la fin ! En réalité, quoiqu’il puisse se produire ou arriver, que ce soit en nous ou à l’extérieur et chez les autres, nous avons ce réflexe de croire que « nous savons. »

En réalité, ce sont nos Mémoires, nos enregistrements mentaux, qui tournent en boucle et qui nous font croire que nous nous connaissons et que nous connaissons les autres et même la vie. D’ailleurs, certains s’imaginent même connaître Dieu et ont décrété que, du même coup, ils devaient se distinguer par leurs habits et leur raison sociale, afin de paraître autorisés à instruire les autres de leur propre vision de Dieu. Comme si ces autres n’étaient pas déjà assez programmés pour s’illusionner seul et bien mieux encore !

Il a été fait mention, plus avant, que nous devrions retrouver ce goût normalement inné de l’étude de soi. S’il nous faut le retrouver, c’est que nous l’avons perdu. Ou pire encore : que nous ne l’avons jamais connu ! Ce qui serait d’ailleurs plus exact. Mais comme il s’agit là d’une faculté essentielle, inhérente à l’esprit lui-même, de ce même esprit dont nous sommes faits et qui nous sert à penser, alors nous pouvons parler de retrouver quelque chose préalablement perdue par l’ensemble de l’humanité.

La vraie question est donc : « Qu’est-ce qui a fait perdre aux humains le goût pour l’étude de soi ? » Nous pourrions trouver plusieurs réponses, toutes aussi différentes que valables, mais nous n’en retiendrons qu’une seule : le manque de curiosité. D’où provient ce manque de curiosité ? Réponse : de la peur de savoir. OK, mais de la peur de savoir… Quoi ? De la peur de savoir que nous ne sommes pas alignés sur ce que nous devrions être ou faire.

Fort bien, mais être ou faire… Selon qui ou quoi ? La personne abrite seulement cette idée macabre et en ressent les effets. Elle a peur, un point c’est tout. Ensuite, l’extérieur et les autres lui apprendront peut-être en quoi, quand et où elle a fauté en n’étant pas et/ou en ne faisant pas, ce qu’elle devait être et/ou faire. Alors les gens se mettent à écouter ailleurs que là où se situe et se manifeste cette peur. Ils vont essayer de savoir ce que Dieu attend d’eux et, éventuellement, ce que le Diable sera capable de leur imposer comme expériences traumatisantes.

Ils écouteront les autres, à savoir les parents, les frères et sœurs, les amis, les enseignants, les prêtres et les initiés, pourquoi pas. Le but sera essentiellement de se déculpabiliser, de trouver une théorie capable de justifier ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Le problème est que ce qu’ils sont et ce qu’ils font est déjà « justifié » : c’est juste cela qu’ils sont et font, pour le moment. Alors ils vont rechercher en vain, parfois une vie durant, quelque chose susceptible de les rassurer, de faire cesser cette peur qu’ils ressentent au fond de leur cœur, sous la forme de cette croyance qu’ils font mal, pas assez bien ou qu’ils sont sans intérêt, sans importance, etc.

Mais rares sont celles et ceux qui vont réaliser, en peu d’années, qu’à l’extérieur et chez les autres, ils ne peuvent trouver que de simples idées et croyances supplémentaires, pas nécessairement plus viables ou intelligentes que les leurs ! Chacun croit détenir une vérité valable pour tous. Hélas, il y a autant de vérités que de personnalités humaines pour les accueillir. Sommes-nous heureux ? Drôle de question,  direz-vous. Pourtant, est-ce qu’une croyance, aussi subtile soit-elle, est originellement prévue pour nous faire souffrir durant des années ?

Est-ce cela la vérité, que nous voulons et tenons absolument à souffrir ? Non, dites-vous ? Dans ce cas, pourquoi souffrez-vous, ne serait-ce que de temps à autre ? Croyez-vous que cette souffrance dépend de toute autre chose que de votre propre mental ? Que croyez-vous ? Que pensez-vous ? En quoi ou en qui avez-vous le plus foi ? Avez-vous commis cette affreuse erreur qui consiste non pas à être chassée du paradis mais bien de tenir à en rester le plus éloigné possible ? Personne n’a jamais chassé personne de nulle part ! L’être humain n’a besoin de personne pour se nuire, voire pour se persécuter une vie durant !

Le fameux paradis est en fait votre conscience d’être. Vous retournez au paradis quand vous avez compris que rien d’intéressant pour vous ne se trouve au-dehors et chez les autres. Vous n’êtes pas endormis. Vous n’avez pas besoin de sortir de quoi que ce soit : vous devez plutôt revenir à vos propres fondamentaux qui sont votre esprit et votre conscience. Retrouver le goût de l’étude de soi revient à surveiller votre esprit avec votre conscience.
Si vous laissez l’esprit bouger n’importe quand, n’importe comment et à propos de n’importe quoi, ce n’est plus un endormi, que vous êtes mais un esclave des mouvements de votre propre esprit.

Mouvements qui vous détournent de ce que vous êtes et du fait que nécessairement, vous êtes exactement ce que vous devez être. Partant, ce que vous faites vous correspond également à la perfection. C’est juste les autres qui n’aiment pas que vous soyez comme vous et non pas comme eux. Cela les rassurerait tellement, si vous étiez (ou si vous restiez) comme eux ! Il vous faut comprendre que rien n’est fait pour durer, ni ce que vous êtes, ni ce que vous faites pour le moment. Et encore moins vos différents processus mentaux !

Ainsi, plutôt que de parler d’éveil, plutôt que de vouloir sortir d’un rêve ou toute autre expression devenue rapidement à la mode, sur les réseaux sociaux, décidez de changer la direction de votre attention mentale. Faites cela pour vous ! Offrez-vous toutes cette bienveillante attention que vous méritez et que vous attendez des autres. Laissez donc à ces autres le soin de s’apprécier eux-mêmes au lieu de se juger et d’avoir ensuite besoin eux aussi des autres pour se déculpabiliser ou justifier ce qu’ils sont ou s’imaginent être.

Vous n’avez pas non plus à supprimer la personnalité. D’ailleurs, qui serait là pour agir en ce sens puis pour s’en féliciter ensuite ou simplement en profiter ? Laissez les gens être ce qu’ils sont ou s’imaginent être : vous n’êtes pas là pour les réformer, vous ne vivez pas leur vie et ils ne vivent pas la vôtre non plus. N’essayez surtout pas d’idéaliser ce que vous êtes en opposant vos croyances à votre propre sujet, à tout ce que vous aimeriez être par ailleurs.

Assumez seulement et pleinement qui vous êtes pour le moment. Agissez toujours en fonction de cette vision de vous, et non d’une version de vous qui sera soit idéalisée, soit jugée puis condamnée.
Ne vous faites pas à vous-mêmes ce que vous détesteriez que les autres vous fassent ! Ne soyez pas « indulgents » : soyez respectueux avec tout ce que vous avez déjà réussi à incarner, depuis votre naissance.

Vous n’avez commis aucune erreur, car la seule erreur serait de confondre l’expérience vivante et enrichissante avec une quelconque notion de réussite ou d’échec. Laissez votre ego tranquille et ignorez complètement celui des autres. Vous ne pourrez pas changer ce que vous êtes et encore moins changer ce que sont les autres, même si ce n’est que provisoire. La seule chose qui puisse faire évoluer la conscience que vous avez de vous-mêmes, c’est l’expérience vivante, directe, et non le fait d’imaginer ce que vous devriez vivre.

Est-ce que ce Monde est illusoire ? Réponse : Oui et non ! Si on parle d’illusion, à savoir de ce qui existe vraiment par rapport à ce qui est issu de l’esprit créateur, alors TOUT, absolument tout est illusion. Ce Monde est illusion, certes, mais il n’est pas pour autant « illusoire. » Ici, le mot « illusoire » est pris dans le sens où certains aimeraient nous entraîner. Illusoire, en ce sens dévoyé, signifie « qui ne mérite pas notre attention, qui est faux et qui devrait être supprimé. »

Si quelque chose mérite d’être supprimé, c’est surtout cette fâcheuse tendance à croire que le monde extérieur ainsi que les autres sont tels que nous les percevons. Nos perceptions passent toutes par nos filtres mentaux et ces derniers ne témoignent pas de ce qui est mais des Mémoires inscrites en notre âme. C’est en cela que consistent en ces mêmes filtres mentaux. Nous ne voyons que le passé, ce qui est déjà arrivé et qui a été mémorisé.

Cette manière d’être nous coupe complètement de l’actualité et cette actualité, c’est ce que certains supposent « illusoire ». En un sens, est illusoire le fait de croire percevoir l’actualité, ce qui se produit vraiment, alors que l’on ne voit que ce que nos filtres mentaux nous permettent de percevoir. Pour résumer le sujet, je dirais que, premièrement, il n’est pas utile de chercher à s’éveiller quand il est seulement question de réactualiser le sens de notre attention mentale.

En second, il nous faut comprendre que puisque tout est déjà là et se manifeste pour nous, c’est donc que nous n’avons pas à chercher à contrôler ce qui est déjà fait. Ce que nous sommes et faisons est aussi juste et bien que ce que sont et font les autres. Nous devons juste retrouver cette saveur du Soi, cette joie à l’idée d’être en présence de soi-même, sans rien juger, sans chercher à paraître autre chose que ce qui paraît déjà.

Lorsque nous comprenons que nous n’avons rien à devenir ou à faire pour être déjà tel que nous devions être à ce moment de notre vie, alors, en plus de la paix que nous ressentons, nous devenons heureux. Le bonheur, c’est quand nous comprenons que nous sommes déjà la Volonté de Dieu en Action et que nous sommes les seuls à pouvoir tout gâcher ou à réussir à être parfaitement à notre place en étant la juste personne et au juste moment.

 

Serge Baccino