Le besoin compulsif d’avoir raison

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Le besoin compulsif d’avoir raison

 

Un ésotériste véritable a pour agaçante habitude de ne jamais prêter attention aux avis contradictoires d’autrui. Agaçante surtout pour tous ces spécialistes du « Je ne suis pas d’accord », qui clament bien haut leur vérité personnelle, comme si leur avis leur avait été réclamé à grands cris et qu’il soit d’importance capitale pour le reste de notre évolution. Alors qu’il lui suffirait d’écrire sur ses propres supports médiatiques les fondements ainsi que les détails de ce qu’il suppose être vrai puis de s’en satisfaire, voire de trouver d’autres idées semblables pouvant le satisfaire. Mais non, ce n’est pas cela qui est recherché par ce type de personnalité : son but est de contredire, de critiquer et plutôt que de vanter son propre avis, il préfèrera démonter ou flétrir celui des autres. Et, si possible, ces autres en même temps !

 

En règle générale, la personne prétend être « pour la vérité. » Elle possède la connaissance et les autres sont donc forcément « dans l’erreur ». Forcément, puisque l’on se trouve alors au niveau purement dualiste, le premier qui s’empare du « vrai », ne peut laisser à l’autre que l’option dernière du « faux » ! Mais qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? Sommes-nous « vrais » nous-mêmes, finalement ? Sommes-nous vraiment nous ?

 

Celui qui prétend « posséder la vérité » ne possède en fait qu’une croyance à propos de ce qu’il préfère comme vérité. Et même cette vérité là, il ne la possède que pour lui-même, puisque tout évolue sans cesse. Si cette vérité n’évolue pas, alors c’est le signe que celui qui s’y accroche a cessé d’évoluer aussi. La vérité d’aujourd’hui ne sera plus celle de demain, puisque cette « vérité » là se base sur les pensées ainsi que sur toutes les croyances qu’elles génèrent.

 

Et d’ailleurs, celui qui prétend être « vrai » lui-même, c’est-à-dire de bonne foi, honnête et sincère, est véritable… Pour qui ? Au mieux, pour lui-même. Au pire, pour les autres mais dans ce cas, « avec leur accord », voire leur bénédiction ! Partant, il a tout intérêt à ne pas se tromper lourdement, car ceux partageant les mêmes pensées que lui, ne feront au mieux que le conforter, s’il est dans SA vérité, ou le plomber plus encore si ce qu’il tient pour vrai n’est pas véritablement bon pour lui. Ce qui pourrait être considéré comme étant « bon pour soi » (plutôt que « vrai »), c’est tout ce qui nous permet d’être nous-mêmes et de nous sentir Soi. Mais comme ce sentiment de soi évolue sans cesse, alors cette notion de « bon pour soi » devrait régulièrement être réactualisé par notre conscience.

 

Des concepts dualistes tels que « Ce qui est vrai » ainsi que « Ce qui est faux », la « vérité » ou le « mensonge » du point de vue personnel ou sociétal, n’ont de valeur (toute relative) qu’aussi longtemps qu’elles sont partagées ou qu’elles concordent avec un état d’esprit partagé par le plus grand nombre. Mais « le plus grand nombre » n’a aucune chance d’évoluer vraiment : seul l’individu le peut et se doit de s’y atteler dès que possible. C’est d’ailleurs le problème majeur de ce que l’on nomme – à très juste titre – « la cellule familiale » ! Une famille est semblable à une entité constituée de membres multiples mais tous rattachés à un tronc commun, chapeauté par un principe directeur quelconque, personne ou idéal commun incontournable.

 

Si la cellule complète évolue, tous évoluent de concert, mais si elle refuse de le faire, celui qui fait mine de « bouger » est tout de suite pointé du doigt et il lui est intimé de très vite regagner les rangs sans plus faire d’histoire. Ceux qui, engagés dans l’Aventure Intérieure, ont du subir les remarques désobligeantes de leurs proches et parents, comprendront mieux que quiconque à quoi nous souhaitons faire allusion ici.

Évoluer est un acte individuel. A plusieurs et au mieux, on ne peut que se trainer et trainer les autres, ce qui, en fin de compte ne peut que se retourner contre ceux qui se prennent pour des tracteurs de semi-remorques ! Ceux qui semblent ne vivre que pour contrarier les autres ont eu une vie contrariée.

 

Soit ils ne réussissaient pas à attirer sur eux l’attention de leurs parents, soit ce sont ces derniers qui n’avaient cure de l’avis de leur rejeton. Dans tous les cas, nous trouvons à la base de ce comportement, un besoin irrépressible, compulsif, de forcer les autres à écouter, quitte à les faire taire, par tous moyens quelque peu efficaces. Et l’agression verbale couplée à l’affirmation que l’autre est « dans l’erreur », est l’une des plus efficaces manières de court-circuiter l’intellect d’un autre et de l’obliger à se concentrer sur ce que pense un autre mental que le sien. Bien sûr, en plus d’être efficace, cette méthode peut coûter horriblement cher, et pas seulement à celui qui se laisse ainsi piéger par les misères morales de son prochain !

 

Pour se mettre à l’abri de ce genre de piège psychologique, il faut tout d’abord comprendre ce qui se produit réellement dans la tête de l’autre, de celui qui arrive comme un cheveu sur la soupe et qui, alors qu’on ne lui a rien demandé et surtout pas son avis, commence d’emblée à semer ses déjections mentales qui sur un forum, qui sur un support médiatiques tel que Facebook par exemple. Très rapidement, le Troll de service cherchera non pas à démontrer qu’il a raison mais bien que vous avez tort.

 

Ce qui prouve bien l’existence, en arrière-plan de la conscience de veille, d’un ancien passif sous la forme d’un compte à régler avec ceux qui, jadis et durant son enfance, ne l’ont pas laissé s’exprimer librement, ou encore l’ont forcé à admettre une vérité qui ne lui convenait pas. Dans tous les cas, le deal est de « compenser » la faute et de faire payer chèrement aux responsables les blessures occasionnées. Mais comme il n’est pas aisé de supporter un face à face avec les véritables concernés, toute personne parlant ou écrivant « avec autorité » fera aussi bien l’affaire et sera l’objet d’une projection, dans l’espoir de transférer la responsabilité d’ancienne souffrances, sur tout autre que soi. Le but est que cette fois-ci, le Troll spirituel ait raison ou réussisse à avoir le dernier mot. Avoir raison devient alors le but de toute une vie de croisades verbales ou scripturales, fort épuisantes au demeurant. Surtout pour les autres.

 

Celui qui cherche à avoir raison, c’est le doute qui a eu raison de lui. C’est pour cela qu’il court après l’assentiment d’autrui ou qu’il cherche à imposer de force et à l’aide de mots violents à destination de cet autrui, la raison après laquelle il ne fait que courir. Celui qui sait n’a plus besoin d’avoir raison car son savoir a eu raison du doute. Celui qui est sûr de sa version des fait, n’a nul besoin d’être soutenu, encouragé et encore moins « noté », comme c’est désormais la tendance, cela sous la forme de « pouce en haut – pouce en bas » qui donne l’impression de nous retrouver à la maternelle !

 

Ce besoin compulsif d’être aimé, accepté, plébiscité voire porté aux nues, est très dangereux pour l’équilibre psychologique des plus fragiles et donc, surtout des plus jeunes. Sauf si cela dure toute une vie. Mais dites-moi ce qui peut durer toute une vie, à part la vie, justement ? Et la vie n’a nul besoin d’être encensée et n’éprouvera jamais le besoin de se justifier. Personne ne peu infléchir le chemin qu’elle se trace elle-même aux travers des êtres qu’elle anime et… Qu’elle fait mourir aussi, afin que disparaisse non pas nos individualités, mais ce qui pourrait bien les étouffer, à force de dépendance à autrui.

 

Serge Baccino
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