Au sujet du pouvoir des mots

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Au sujet du pouvoir des mots (Matrika Shakti)

Parlons un peu du pouvoir des mots, la Matrika Shakti, en sanskrit. Voyons d’abord ce que les Shiva Sutra nous proposent comme aphorisme : « jnanadhisthanam matrika. » Ce qui signifie, une fois simplifié, à partir de la version originelle : « C’est le pouvoir associatif de l’esprit qui est à la base de la connaissance limitée. »

Bien sur, les Shiva Sutra parlent plutôt du « pouvoir des mots » ou des lettres (Matrika = lettres) mais nous comprenons, à notre époque, que ce ne sont pas les mots que nous entendons ou les lettres qui composent ces mots qui nous affectent, mais bien L’ASSOCIATION que nous avons fait entre les mots lus, entendu ou pensés et le sens qui leur est généralement accordé.

Par exemple, si un Aborigène d’Australie entend : « Tu es très con, mon pauvre ! », il ne réagira sans doute pas et sera inconscient du fait que l’on vient de lui manquer de respect. Mais si un français entend cette même phrase, il pourra être choqué, vexé et désireux de demander des comptes, cela parce que son esprit est capable d’associer les sons perçus avec le sens qu’il est convenu de leur attribuer.

C’est cette « Matrika Shakti », ce pouvoir associatif de l’esprit, qui nous rend dépendant de ce que pensent puis disent ou écrivent les autres. Si nous n’étions pas conscient d’une insulte proférée à notre endroit, par exemple, nous ne pourrions pas nous sentir affecté, c’est évident. Normalement, la Matrika shakti n’est pas un pouvoir se situant au-dessus de l’homme, puisque c’est ce dernier qui attribue aux sons et aux lettres le sens qu’il veut bien leur attribuer. Mais une fois ces associations son/image/concept formées, l’homme devient tributaire du ressenti que produiront les mots proférés ainsi que les paroles écrites.

Quand nous entendons ou lisons un mot, une image mentale se forme instantanément dans notre esprit et cette forme mentale sera plus ou moins chargée d’énergie vitale, et elle agira donc avec plus ou moins de force sur nous. Au lever, le matin, notre esprit est généralement calme et « vide »; Aucune idée, aucun « mot » ne nous viennent à l’esprit et, ainsi, aucune association d’idée n’est faite pouvant nous faire ressentir une chose plutôt qu’une autre.

Mais nous savons que si nous pensons : « Merde, je dois me lever pour aller au boulot, ça craint ! » Nous allons nous sentir moins bien, cela simplement parce que les associations d’idées (modifications de l’esprit ou « vritti ») se seront enclenchées et génèreront images mentales sur images mentales, avec le sens négatif ou funestes qui se rattache à chacune d’entre elles.

En général, les « vritti » (modifications de l’esprit, les changements issus d’idées qui s’enchaînent les unes les autres et sans répits) sont toujours identiques ou récurrents. Les associations d’idées, concernant les mots et le pouvoir émotionnel qui s’y rattachent, sont également récurrentes.

Est-ce clair énoncé ainsi ? La question se pose vraiment, car ce sujet est infiniment subtil et, d’ailleurs, il a toujours était plus ou moins bien compris, même (ou surtout ?) par les orientalistes du passé qui se faisaient forts de nous traduire le sens de mot dont l’esprit même semblait cruellement leur échapper. Il ne s’agit pas d’une critique gratuite mais d’un banal constat, objectif et dépassionné.

Pour se convaincre de la difficulté immense que les orientalistes ont rencontrés en tentant de traduire les textes sacrés de l’Inde antique, il suffit d’observer à la loupe le sens usuel qu’ils ont osé donner au mot Sanskrit « karma » ! Mais ceci est une autre histoire.

L’essentiel est de bien comprendre l’origine de la conscience sans pensée et la cause de son absence évidente, lorsque nous sommes occupés à « passer en revue » toutes les formes mentales (pensées, idées, concepts, credo) qui nous « traversent l’esprit » (c’est le cas de le dire) parfois sans s’y arrêter bien longtemps, ce qui nous fait passer pour un singe espiègle sautant d’une branche à l’autre (d’une pensée à l’autre) sans jamais réussir à se fixer plus de deux minutes sur l’une quelconque d’entre elles (branche/pensée.)

 

Serge Baccino